Melinir Tome 1 - Chapitre 12 - Le choix de Haïdalir

Chapitre 12 – Le choix de Haïdalir

Éclanergie : Pratique martiale visant à développer le flux énergétique interne de l’individu. La plupart des exercices se pratiquent dans le vide par des mouvements volontairement lents et circulaires. Permettant la canalisation du chi sur certaines parties du corps, et par conséquent développer une puissance phénoménale.

Les Fondements – Recueil des Dix Maîtres
Melinir Tome 1 - Chapitre 12 - Le choix de Haïdalir

   Haïdalir arriva à l’auberge en début d’après-midi et vit Mornar assis à une table près de l’entrée, il semblait se porter beaucoup mieux. Eldan s’installa face à son ami, sans un mot puis posa Zaor sur la table d’un air dépité.

   − Qu’est-ce qu’il y a mon vieux ? Tu as croisé un Huttlord ? demanda Mornar.

   − Je suis dans le pétrin jusqu’au coup, si tu veux savoir.

   Eldan lui expliqua en détail sa rencontre avec le maître d’armes, et son récit terminé, regarda Mornar d’un air songeur.

   − T’es effectivement dans de beaux draps…, lui répondit son ami en se passant une main dans les cheveux.

   − Nous aurions peut-être dû laisser cette épée où elle était.

   − Non, nous avons fait le bon choix, mais effectivement, ta décision va certainement bousculer notre petit train de vie !

   Eldan le regarda d’un air désespéré :

   − Bousculer ? Je crois que tu ne te rends pas compte…

   − Allons visiter la ville, aujourd’hui, proposa Mornar avec entrain. Cela nous changera les idées, je pense que nous en avons besoin et nous n’avons rien à d’autres à faire, de toute manière.

   − Nous ne sommes pas en vacances ! Et… que fais-tu ici en fait ?! Bon sang, j’étais trop obnubilé par mes problèmes que je n’ai même trouvé bizarre que tu sois affalé sur une table de l’auberge au lieu d’être dans un lit et…

   − Ne te fais pas de bile, je n’ai plus mal depuis ce matin ! En temps normal, j’aurais effectivement été cloué au lit durant quelques jours, mais le PurCiel m’a pratiquement guéri à lui seul. Une journée de repos, et la blessure a cicatrisé presque entièrement. Cette potion est miraculeuse, les infirmières m’ont dit que je ne risquais plus rien, tu aurais dû voir leur tête ! Elles n’y comprenaient rien du tout ! Alors, autant se distraire un minimum tant que nous le pouvons, change-toi les idées, tu auras l’esprit plus clair pour demain.

   Convaincu par la bonne humeur légendaire de Mornar, Eldan retrouva un semblant de motivation :

   − Tu as gagné.

   Son ami avait retrouvé sa fougue habituelle et Eldan fut satisfait de le voir à nouveau en pleine forme.

   Et guéri.

   Les deux jeunes hommes sortirent de l’auberge avec un entrain qu’ils essayeraient de conserver, puis se dirigèrent vers le nord en direction de la Foire aux Mystères.

   Marchant d’un bon pas, Eldan observait la ville qui paraissait particulièrement agitée à cette heure de la journée où le soleil était au plus haut et projetait des rayons qui brillaient sur les pavés.

   Les mêmes animateurs abordaient les passants devant l’entrée de la foire, mais cette fois, au lieu de gentiment les envoyer balader, ils payèrent les vingt Pylas pour y entrer et ne regrettèrent pas leur investissement, car la place était très attractive et bondée de monde. Chaque vendeur étalait ses articles sur de modestes tables et l’on pouvait voir de longues rangées d’échoppes sur trois rues bien distinctes, où à chaque extrémité, des airs bien connus résonnaient jovialement sous une tente. Eldan dut réunir ses meilleurs arguments pour dissuader Mornar d’aller boire des chopes avec les danseurs qui tapaient du pied autour des musiciens, composés pour la plupart d’un chanteur jouant du luth, d’un flûtiste et d’un violoniste.

   Ils traversèrent la ruelle en se feignant un passage dans la foule où un fort brouhaha ne leur laissait pas l’occasion de communiquer convenablement. Recherchant de l’espace, ils atteignirent une zone moins peuplée : une longue place où les pavés irréguliers menaient une dure vie aux chevaux qui s’y aventuraient. Un petit stand s’affichait devant eux, proposant des statuettes de tout genre : Dragon, Huttlord, Hodraque, etc. Eldan y reconnu même Alheam Nithril.

   Ils continuèrent leur visite en longeant le contour droit de la place, découvrant voyantes, et autres charlatans. Présentant l’escroquerie, ils décidèrent de ne dépenser qu’avec les yeux.

   Ils se rendirent au centre de la place où se trouvait un recoin de verdure : un petit jardin, des arbustes et des buissons. Une roulotte était installée à l’ombre d’un pommier, et basculant au-dessus de sa porte, un vieil écriteau indiquait : Potions de Sybille. Ils savaient qu’il s’agissait d’articles particulièrement intéressants, car l’unique potion qu’ils possédaient avait sauvé la vie de Mornar.

   Eldan gravit les trois marches et ouvrit la porte. Le plancher grinça au premier pas, et au deuxième, une forte odeur de renfermé lui sauta au cou. L’installation n’était pas récente.

   Assise sur une chaise, une vieille femme était courbée dans le fond la pièce et à première vue, préparait des potions. De ses mains ridées, elle moulait différentes plantes qu’Eldan ne put reconnaître. Il remarqua qu’une jatte contenait des pattes de poules, de canard et une griffe d’Hodraque.

   Ils examinèrent les fioles en exposition sur le côté gauche. Chaque flacon était identifié par une étiquette et résidait dans un compartiment. Les potions ainsi disposées offraient un bel assortiment de formes et de couleurs.

   − Bonjour, que puis-je pour vous ? fit la vieille dame, qui devait être Sybille.

   − Pouvons-nous examiner plus en détail les flacons ? demanda Eldan, pensant judicieusement que certaines pourraient leur être plus qu’utiles.

   Car les fioles ressemblaient au PurCiel, et possédaient peut-être des pouvoirs très intéressants.

   − Bien sûr jeunes gens, mon choix est vaste, l’effet est inscrit sur chaque récipient, répondit-elle d’une voix rocailleuse.

   − Avez-vous du PurCiel ? s’enquit Mornar.

   − Non, désolé, elle demande une trop grande variété de plantes. Et sa préparation est trop fastidieuse.

   − Dommage.

   − Rares sont celles qui prennent soin d’en confectionner, ajouta-t-elle. Cela requiert un grand savoir.

   Conscients de détenir un atout précieux, ils se retournèrent et prirent soin d’analyser chaque fiole. Très peu possédaient un tel pouvoir. Certaines restaient tout de même intéressantes, l’une d’elles pourrait à nouveau leur sauver la vie. Après avoir longuement réfléchi, ils en prirent deux : Masque d’Air et Feu-Ardent.

   La première permettait de respirer dans un milieu sans oxygène et supprimait la pression de l’eau sur les tympans.

   La deuxième diminuait la fatigue physique et psychique en reposant le corps instantanément. Une mise en garde était tout de même notée : Ne pas utiliser fréquemment, peut provoquer de graves troubles du sommeil.

   Les autres semblaient superflues et non adaptées à de longs voyages, car ils savaient quitter Aquira, tôt ou tard. Ils déboursèrent les quarante Pylas requis et décidèrent de ne plus rien acheter pour aujourd’hui.

   Ils continuèrent leur visite en s’enfonçant plus profondément dans la rue centrale et virent le même cracheur de feu qu’à la veille − cette fois entouré d’une troupe de troubadours. Ils s’arrêtèrent pour observer le spectacle, mais un feu d’artifice éclata de plein fouet à quelques mètres ; ce qui les fit sursauter.

   Considérant qu’ils en avaient assez vu, ils sortirent de la foire et passèrent par une avenue qui semblait être la plus malfamée de la cité, des sans-abri erraient d’un coin à l’autre, d’autres dormaient sur des marches, certains, jouant du couteau avaient une apparence si crasseuse qu’ils daignèrent de s’en approcher à moins de dix mètres. Le spectacle était dégradant et les deux jeunes hommes quittèrent rapidement la zone.

   Ils virent tantôt un bâtiment qui attira toute l’attention de Mornar.

   École d’Archerie.

   Celui-ci proposa à Eldan d’entrer pour visiter l’intérieur, mais avant qu’il n’ait pu répondre, il ouvrit la porte et l’invita à le suivre.

   L’entrainement à l’arc aspira totalement l’intéressé, mais quand il vit le prix des cours, il y renonça vite. Ils restèrent toutefois quelques minutes à admirer les archers décocher flèche après flèche sur des cibles de paille aussi rapidement qu’il ne le fallait pour cligner de l’oeil. Ils étaient tous alignés en rang et tiraient à une cadence remarquable ; leurs gestes étaient rapides et précis, sans nul doute des experts contre qui il n’aurait fallu se frotter.

   Ils terminèrent leur visite en se rendant au centre-ville − une vaste place ronde où de nombreux couples venaient marcher. De grands jets d’eau jaillissaient d’une sublime fontaine symbolisant la Montagne du Soleil, et en face se dressait la résidence du Conseil d’Aquira. Ils s’assirent sur un banc pour contempler les environs.

   À ses contours se dressaient des bâtiments administratifs, construits en style gothique, d’une teinte grisâtre, voire blanchâtre, où des arbustes étaient plantés en bordure de la place et où de somptueux jardins environnaient les édifices. Pour les passants, des bancs de marbre avaient été posés au fil d’un sentier de gravillons qui longeait les cours.

   Bien qu’ils durent réunir une bonne dose de volonté pour quitter ce panorama plus que grandiose, ils décidèrent de retourner à l’auberge avant la tombée de la nuit.

   Le trajet dura une heure depuis la fontaine, et Mornar se dirigea vers l’écurie pour nourrir les juments ; ils avaient convenu de se déléguer la tâche à tour de rôle.

   Le travail terminé, ils se retrouvèrent pour manger un plat à l’auberge et s’assirent tous deux face à face. Le Trappeur était particulièrement bondé ce soir. Quelques jeunes sirotaient bruyamment des cervoises au bar, et d’autres − qui semblaient être des habitués − jouaient aux cartes, confortablement installés autour d’une table ronde.

   Eldan ressentit un amer sentiment de nostalgie, repensant aux nombreuses soirées qu’ils avaient passées à la taverne de Hatteron, mais l’aubergiste le tira de ses pensées en prenant la commande. Ils choisirent un rôti accompagné de pommes de terre et de ratatouille, sans oublier comme rince-bouche, deux grandes chopes de cervoise qui, dans cette auberge, étaient particulièrement épaisse. Ils mangeaient avec appétit en observant calmement l’agitation qui régnait et en se plaisant à comparer Hatteron et Aquira. D’un commun avis, ils conclurent que la cité était tout simplement extraordinaire ; et bien trop grande pour leurs routines habituelles, mais ils s’y adapteraient rapidement.

   Quand l’auberge commença à se vider, ils jugèrent bon de se coucher et montèrent les escaliers en colimaçon sur la gauche de l’entrée. Ils avaient réussi à obtenir deux chambres simples placées côte à côte.

   Eldan se leva le lendemain prêt à affronter une journée lourde de conséquences, devant rendre une nouvelle visite au maître d’armes pour l’informer de son choix, car à présent, il était fait.

   Mornar, décida d’explorer ce qu’Aquira avait encore à lui offrir, car de toute manière, son emploi du temps était aussi chargé que celui de son grand-père après avoir transmis sa ferme à ses parents.

   Eldan monta Flèche-Noire pour se rendre au musée, l’attacha au pilier de pierre soutenant la voûte d’entrée, puis traversa le hall en admirant une nouvelle fois l’étendue d’armes, armures et boucliers qui ornaient le hall principal du bâtiment. Arrivé devant la porte du bureau de Merino, il frappa et entendit aussitôt le maître d’armes l’inviter à entrer ; il l’attendait en étudiant une ancienne carte :

   − Aucune mauvaise rencontre ?

   − Pas la moindre.

   − Fort bien. Je vois que tu as l’air plus détendu qu’hier.

   − Effectivement, c’est que… je ne m’y attendais pas, il m’a fallu un moment pour assimiler tout cela, ainsi que l’importance de mes choix.

   − Je consens que cela n’ait pas dû être facile à digérer, sache que tu pourras compter sur mon soutien en toute circonstance. Je t’aiderais de mon mieux pour tes futures actions, car, tu ne seras plus jamais en sécurité, et bien que tu sois dans la ville la plus sûre de Melinir, reste sur tes gardes, car tu possèdes un fardeau qui, je pense, aurait fait perdre la raison à la plupart des aspirants à cette fonction.

   − Merci de votre soutien.

   − Je t’en prie, mais revenons à l’important, et à ce que tu comptes faire de Zaor. J’ai bien réfléchi aux événements, continua Merino, d’une voix sûre. Une chose est évidente, l’épée nous offre un atout non négligeable contre Rha-Zorak et nous devons l’utiliser pour le renverser. Il s’agit peut-être de la seule arme qui en soit capable. Melinir ne pourra respirer convenablement tant que sa menace pèse sur le continent, car son pouvoir est bien trop dangereux pour quelqu’un qui n’a aucun scrupule à détruire des villages ou même des régions entières en un claquement de doigts. Mais bref, je ne vais pas t’accaparer des fantômes qui nous hantent depuis trop longtemps, revenons à ce qui nous importe. Tu as donc deux possibilités :

   « Le premier consisterait à te former entièrement au maniement de l’épée et à l’Éclanergie, jusqu’à être prêt à l’affronter.

   « Le deuxième, plus risqué, serait de trouver un autre Haïdalir sur Melinir. Je devrais, aussi, dans ce cas de figure, t’initier aux rudiments du combat pour que tu saches te défendre si tu es amené à utiliser ton épée. Maintenant, à toi de choisir quelle voie tu vas suivre.

   Eldan réfléchit encore une fois, mais son choix était déjà fait, il s’était résigné à l’évidence :

   − La deuxième.

   Merino acquiesça d’un signe de tête :

   − Notre première tâche sera de ratisser toutes les casernes et écoles de combat. Nous proposerons l’épée à quiconque veuille la porter et verrons très vite si son chi le lui permet.

   − Cela restreint énormément de monde !

   − Une personne d’un autre milieu ne serait pas plus qualifiée que toi !

   Eldan répondit en maugréant, mais il savait que Merino avait raison.

   − Alors, ne perdons pas de temps. Allons-y.

   Ils commencèrent par l’école d’arts martiaux qu’Eldan avait perçue la veille, et se rendirent dans la cour, là Merino invita tout le monde à l’écouter. Très rapidement, tous se rassemblèrent autour de lui ; même l’instructeur. Il avait apparemment une certaine autorité dans ce milieu. Il leur expliqua qu’il souhaitait analyser le comportement de l’épée détenu par Eldan et recherchait une deuxième personne pouvant la manier.

   Aussi forts qu’ils étaient, aucun d’eux ne put la décoller à plus de dix centimètres du sol. La plupart, par fierté, s’étaient mis à jurer se montraient prêts à essayer à nouveau en se remettant dans la file d’attente.

   – Pas de deuxième essai ! s’écria Merino d’une voix forte. La lame ne vous a pas permis de vous en servir la première fois, elle ne le fera pas pour la deuxième !

   Certains croyaient à un canular en voyant Eldan la soulever aussi facilement qu’un vulgaire morceau de noisetier, mais lorsqu’ils l’empoignaient, ils comprenaient rapidement qu’il y avait quelque chose d’anormal. Quand tout le monde eut passé sans résultats concluants, Merino prit la parole avant qu’Eldan ne réponde aux questions qui fusaient à travers la salle.

   − Mon ami ici-présent ne possède pas une force surnaturelle, ce que vous avez certainement dû remarquer avec un minimum de perspicacité, mais dispose apparemment de quelque chose en plus par apport à nous. Cette arme est donc bien ensorcelée, mais pour une raison que j’ignore, son effet diffère sur chaque individu. C’est pourquoi je souhaitais trouver un autre porteur, un envoûtement rare qui mérite un peu de recherche, si vous me comprenez bien.

   Le mensonge était cohérent, car le ton banal que prenait Merino rendait l’arme quelque peu accessoire, et aucun ne comprit qu’il s’agissait d’une relique vieille de deux millénaires. Eldan rengaina Zaor sous l’œil perplexe de ceux qui avaient du mal à digérer un échec aussi sommaire que celui-ci.

   Ils continuèrent par cinq casernes pour arriver aux mêmes conclusions et poursuivirent leur entreprise à l’École d’Archerie sur la proposition d’Eldan. Merino accepta sans grande conviction, voyant mal un archer changer de fonction du jour au lendemain, mais c’était tout de même une éventualité qu’il ne fallait pas écarter. Le jeune homme pensa immédiatement à son ami, qui aurait été subjugué par la vitesse et la précision de leurs tirs, mais, malgré leurs aptitudes remarquables, l’épée ne décolla pas plus du sol que pour les tentatives précédentes.

   Ils arrivèrent dans une école d’Éclanergie, là où il était le plus probable de trouver un Haïdalir. La majeure partie des pratiquants exécutait des mouvements dans le vide, très lentement, d’autres luttaient en souplesse. Eldan remarqua qu’ils n’étaient jamais tendus ou crispés, comme s’ils n’utilisaient aucune force physique, une caractéristique apparemment bien à spécifique à cette discipline.

   Quand enfin, ils atteignirent la dernière caserne. Eldan eut un espoir en voyant un colosse de deux mètres saisir l’épée d’une main, mais ce sentiment fut de courte durée lorsqu’il s’étendit à plat ventre comme s’il venait d’être assommé. À nouveau, personne ne réunit les conditions nécessaires.

   Une autre tâche, dont Merino en avait pris la responsabilité, était de conserver l’anonymat au sujet de Zaor, ce qui, à son goût, était réussi. Les vérifications leur prirent donc toute la matinée et midi arriva avec un soleil sans nuages, ils s’installèrent sur la terrasse d’une taverne pour y manger un rapide casse-croûte.

   − J’étais pour ainsi dire persuadé que nos recherches n’aboutiraient à rien. Retournons au musée, maintenant.

   Le maître d’armes traversa le hall et ouvrit une porte en fond de salle, celle-ci débouchait sur de grands alentours. À leur droite se trouvait un jardin, surplombé par une petite remise, alors que devant eux, un terrain d’herbe tendre les attendait. Contre le mur étaient fixés plusieurs bâtons utilisés pour de l’escrime.

   Il s’agissait d’un terrain d’entraînement installé à l’air libre en plein centre du musée, mais encadré par quatre façades sans fenêtres, qui avaient apparemment pour but de dissimuler l’emplacement aux visiteurs.

   − Tu vas voyager sûrement longtemps, et tu en as pris conscience, je l’espère. Mais avant, je vais t’enseigner le strict minimum pour que tu saches te servir d’une épée et ne pas montrer à ton adversaire que tu sors tout juste d’un village de paysans.

   Eldan posa Zaor contre le mur et s’avança vers Merino.

   − Tout d’abord, change-toi, il y a des tenues dans la remise, dit-il en la pointant du doigt.

   Eldan cru au début à un dépôt d’outils pour le jardin, mais quand il entra, il vit une série de tuniques et de larges braies marron. Le jeune homme mit le bas, qui était souple et léger, alors que le haut, légèrement plus lourd, était séparé à l’avant ; la partie gauche s’attachait par dessus celle de droite.

   Voyant qu’Eldan était déjà prêt à sortir son épée, Merino le tempéra :

   − Ne sois pas si pressé, j’ai quelques exercices sympathiques pour ton échauffement.

   Eldan ne tarda pas à les connaître : course, accélérations, appuis faciaux et déplacements au sol. Il commençait sérieusement à transpirer quand le maître d’armes lui dit de se lever.

   − Vous avez l’air de bien savoir comment faire pour éreinter quelqu’un en dix minutes…, lâcha le jeune homme qui était à bout de souffle.

   − J’étais instructeur pendant plus de vingt ans à l’École Ming, la première où nous nous sommes rendus. Voyons, tu ne croyais quand même pas que je n’avais aucune idée sur le sujet…

   Le jeune homme comprit donc pourquoi certains pratiquants connaissaient bien le maître d’armes et le traitaient avec un certain respect.

   Merino lui tendit un bâton qui ressemblait à une épée, et qui devait être utilisée comme telle.

   − À deux mains, le manche, environ cinq centimètres d’écart, fléchis légèrement les bras, détends tes épaules, relaxe-toi. La pointe, dans ma direction, pas vers la lune. Sois solide, bien ancré au sol. Ta jambe gauche en avant, tes pieds à largeur du bassin. Tu dois pouvoir être mobile tout en restant stable.

   Eldan se positionna à sa manière la plus juste, et comprit qu’elle convenait au maître d’armes.

   − Ta posture reflète ce qui pourrait à présent se nommer « une garde ». Travaillons tes pas chassés, maintenant. Avance ta jambe gauche en te propulsant avec celle de derrière.

   Le jeune homme commença l’exercice avec un peu d’appréhension, il sentit vite la subtilité du mouvement, et après quelques essais, il se déplaçait aisément dans toutes les directions.

   − Bien, continue. N’expose pas ton corps inutilement, ne crée pas d’ouvertures ou ton adversaire t’aura troué avant que tu aies pu lever le petit doigt, car sans garde, crois-moi, tu es comme une tortue sans carapace.

   Ils continuèrent par des exercices d’esquive où Merino l’attaquait gentiment en augmentant peu à peu la cadence et les changements de rythmes, le poussant prioritairement à rechercher la forme puis la vitesse.

   Ils travaillèrent ensuite les parades, de manière latérale puis frontale, encore une fois, les attaques étaient très lentes, pour permettre à Eldan de trouver les bonnes positions et de se sentir à l’aise dans l’application du mouvement. Les attaques devinrent plus rapides et plus agressives, si bien qu’il dut par moment se retirer pour ne pas se faire toucher.

   Il sentait naître en lui cette envie de progresser, d’approfondir ses connaissances.

   − Tu ne t’en sors pas trop mal. Commence par placer des ripostes.

   Il expliqua à Eldan − qui absorbait chaque information avec motivation − en détail l’attaque en piqué, frontale, latérale, ascendante et descendante. Ils pratiquèrent pendant une heure, sans pause, et le jeune homme commençait à sentir des brûlures aux biceps, sans parler des épaules qui lui hurlaient de les laisser tranquilles et de lâcher son bâton.

   − Repose-toi un moment, je dois encore t’expliquer quelques notions.

   Eldan lança son arme à terre et se massa les épaules, puis les trapèzes.

   − Ne fixe jamais une partie de ton adversaire. Concentre-toi sur la globalité de ses mouvements pour avoir un œil alerte sur ses moindres changements de posture, et ne ferme jamais les yeux ! La période de cécité est très courte, mais procure un réel avantage à ton adversaire, ne lui offre pas ce plaisir. Ne lui laisse rien.

   – Compris, je me repose deux minutes, je ne sens plus mes épaules. Même à la forge ce n’était pas aussi dur.

   – Une autre chose encore me déplait, continua Merino en ignorant sa remarque. Prends ton bâton, et attaque-moi.

   Eldan l’observa d’un air dépité et, après s’être remis lentement en position, reprit son bâton avant de le frapper par le haut, sentant que le maître d’armes allait rapidement lui faire comprendre ce qui le contrariait, mais c’était déjà trop tard. Merino était sorti de l’axe en lui fauchant la jambe comme un vulgaire pied de table bancal. Eldan s’affala sur le dos comme une masse.

   − Si ton corps est une forteresse, tes jambes en sont les fondations, elles doivent être solides.

   Cela lui fit penser à son dernier affrontement contre le Pillard, qui l’avait balayé d’une manière similaire.

   Merino reprit ses explications :

   − Tu n’étais pas stable, le poids de ton corps mal réparti, tu valdinguais d’une jambe à l’autre comme un château de cartes en train de s’écrouler.

   Pour le corriger, le maître d’armes lui fit pratiquer un grand nombre d’exercices de déplacements, genoux fléchis, en position très basse. Ses cuisses commençaient à siffler de douleur comme ses épaules précédemment.

   L’entraînement se termina quelques heures avant le crépuscule, Eldan était lessivé, mais sentait naître en lui une nouvelle passion.