Melinir Tome 1 - Chapitre 4 - Sous terre

Chapitre 4 – Sous terre

Pyla : Monnaie instaurée au cours de l’année 220, durant laquelle l’architecte Alec Pyla, qui fonda le centre-ville d’Aquira, a été sauvagement assassiné. La place est reconnue comme l’une des plus belles œuvres d’art de Melinir.

Histoire – Encyclopédie du Savoir d’Aquira
Melinir Tome 1 - Chapitre 4 - Sous terre

   Quand il se réveilla le lendemain matin, il avait encore le cerveau brumeux et mit quelques instants à réaliser qu’il n’avait pas rêvé, mais tué un Huttlord et détruit l’écurie publique. En résumé, ôté la tranquillité bienveillante du hameau.

   Il venait de perdre la considération de tous les villageois.

   Le moral dans les talons, il s’habilla sans grande conviction avec une vieille tunique brune et un pantalon gris qu’il utilisait souvent pour travailler à la forge ; une profession qu’il devrait, compte tenu des évènements, surement abandonner. Puis il sortit de sa chambre et descendit les escaliers de bois pour rejoindre ses parents qui étaient déjà installés à table et avaient entamé le petit-déjeuner.

   Malgré ses efforts à dissimuler ses angoisses, sa mère remarqua immédiatement qu’il y avait un problème.

   Eldan, tremblant, eut du mal à les regarder dans les yeux pour leur annoncer l’incident qui avait failli lui coûter la vie. Il leur expliqua grossièrement sa rencontre avec le Huttlord et comment il avait détruit l’écurie pour se sauver ; il savait que chacun de ses mots aurait l’effet d’un coup de poignard.

   − C’est épouvantable…, gémit-elle, horrifiée.

   − Je dois quitter le village… Vous le savez aussi bien que moi, les Huttlords vont me pourchasser, je ne peux plus rester ici.

   Sa décision ne datait pas d’il y a quelques instants, mais bien d’hier soir, car il ne pouvait de toute manière plus vivre ici, il était devenu un fardeau pour tous les habitants du village.

   Sa mère lâcha un sanglot en tournant la tête, et Roald posa délicatement sa main sur son épaule, un simple geste qui remua Eldan jusqu’aux tripes.

   − Et quand penses-tu partir ? demanda son père.

   Rarement le jeune homme avait vu une pareille expression sur son visage : un mélange de tristesse et de peur qui transformait l’intensité de son regard.

   − Demain matin…

   − Tu te moques de nous j’espère ?! s’indigna Aline.

   − Je dois partir le plus tôt possible, d’autres Huttlords vont bientôt venir pour terminer les recherches.

   − Tu es sûr qu’il faille se précipiter pareillement ?

   − Que veux-tu que je fasse d’autre ?

   Sa mère ne lui offrit en guise de réponse qu’un regard troublé.

   − Nous pouvons déjà nous estimer heureux que tu sois encore en vie, admit Roald. Jamais je ne pensais qu’une telle créature viendrait ici, à Hatteron. C’est insensé, mais tu as malheureusement raison, en restant ici, ta vie ne tient plus qu’à un fil… tu dois quitter Hatteron.

   Un long silence s’ensuivit avec la dureté d’une réalité qui lui rappela à quel point il était en danger.

   − Roald ! siffla sa femme, ne suffirait-il pas qu’il se cache ici le temps qu’il faut?!

   − Ne crois-tu pas que j’y ai pensé ? rétorqua le jeune homme. Les Huttlords n’auraient aucune difficulté à extirper des informations aux villageois et me dénicheraient en moins d’une journée.

   Aline le scruta en essayant de trouver une autre alternative, mais se résigna à l’évidence.

   − Je reviendrai quand ils m’auront oublié, continua Eldan. De toute manière, les prochaines créatures vont vite remarquer qu’il n’y pas, et n’y a jamais eu d’arme dans cette écurie. D’ici là, je trouverai du travail ailleurs, probablement à Aquira, et lorsque le village sera à nouveau sûr, je reviendrai.

   Ses parents ne se détendirent pas pour autant.

   − Je t’en prie Eldan, dit sa mère, ne recherche plus à jamais à leur faire face. Tu as eu une chance formidable hier soir, ça n’arrivera pas tout le temps.

   − Je sais…

   Eldan resta quelques minutes avant de partir pour le village, il souhaitait voir Mornar.

   Ceux qu’il croisait le dévisageaient amèrement, mais la plupart gardaient une certaine distance, sans doute par crainte. Un entourage qu’il côtoyait depuis son enfance et qui maintenant le repoussait comme un animal malade ; il savait qu’il était devenu une source de danger pour Hatteron. De nombreuses charrettes faisaient des allers-retours entre les champs, les fermes et les échoppes. Apparemment, le hameau était agité comme si on se préparait à l’arrivée de l’hiver.

   − Errendel, espèce d’inconscient ! s’écria un vieillard qui s’était approché d’Eldan lui donnant des coups de canne dans les jambes. Tu vas nous attirer le mauvais œil, je le sens bougre d’idiot, as-tu pensé à nous ?! Et nos chevaux maintenant ! Comment va-t-on faire pour…

   Il hurlait à tue-tête en brandissant le poing, mais Eldan préféra l’ignorer en continuant de marcher en direction de chez son ami, même s’il avait envie de lui prendre sa canne et de la lui casser sur la tête. Une colère qu’il tenta de soulager en respirant profondément, puis sentit une main se poser sur son épaule, ce qui le fit sursauter ; il lui semblait que tout ce qu’il avait connu depuis son enfance lui était maintenant froid et hostile.

   C’était l’homme qui l’avait aidé la veille. La lumière du jour lui permit de le reconnaître : Léonard, le père de Silève, le propriétaire de la taverne Grandes Oreilles.

   − Ça va mon garçon ? demanda-t-il.

   − J’ai connu mieux.

   − N’écoute pas ce vieux sénile, il est comme beaucoup d’autres qui ne sont jamais sortis de Hatteron, ils ne connaissent rien du monde extérieur où ce genre d’incidents est plus courant que tu ne le penses.

   − Merci, mais apparemment, je crois que tu es le seul à me faire partager un tel point de vue.

   − Ignore-les, tu as meilleur temps.

   Léonard le regarda une dernière fois, puis se retourna et partit tranquillement en direction de chez le boucher. Ces quelques mots lui firent chaud au cœur et atténuèrent quelque peu la colère l’indignation qui lui comprimaient le ventre, un réconfort inattendu qui, sans qu’il ne puisse se l’expliquer, lui fit penser à une chose totalement différente : la maquette de Fourmat ! Qu’il avait posé bien loin devant l’écurie et qui devait être intact. Il se promit qu’il la récupérerait plus tard dans la journée et la terminerait comme convenu. Mais pour l’instant, il voulait voir son ami.

   − Alors c’est bien vrai, tu as tué un Huttlord et détruit l’écurie ?! lâcha Mornar en pouffant de rire.

   − Ce n’est pas drôle ! Je te signale que cela me vaut une invitation simple et directe à quitter le village !

   − Je sais… mais tu me surprendras toujours !

   Ils venaient de franchir le pas de sa porte en direction du hameau, et Eldan grognait en voyant Mornar réagir de la sorte ; au moins, il n’était pas furieux après lui. Mais son insouciance l’épatait prodigieusement !

   − Quoi qu’il en soit, je ne vais pas rester ici en attendant le cordial bonjour de ces bestioles, je pars avec toi.

   − Quoi ?! Hors de question, cela ne te concerne pas, je te mettrais en danger !

   − Je m’en fiche complètement, je veux partir de ce trou ! Au cas où tu ne le savais pas, je n’ai jamais eu l’intention de passer ma vie auprès d’une bande de fermiers superstitieux.

   − Mais on ne part pas en vacances ! Ces bestioles, comme tu dis, vont sans doute me traquer jusqu’à repartir avec ma tête dans un sac si tu vois ce que je veux dire.

   − Alors qu’ils nous traquent si ça peut les amuser.

   – Bon, et ta famille…

   – Ma famille sait très bien que mon départ n’est qu’une question de temps.

   − Je m’en vais demain matin…, reprit Eldan.

   − Tant mieux ! De toute manière, tu sais très bien que tu as besoin de moi pour chasser, non ? J’en déjà parler à Skalit et ses amis, mais il semble que je sois le seul tenté par l’expédition.

   Eldan était abasourdi, il croyait connaître son ami, mais là, il découvrait une facette de sa personnalité qu’il n’avait encore jamais côtoyée. En fait, sa réaction l’avait rassuré, car partir à ses côtés réduisait la gravité de son châtiment, mais sa remarquable insouciance, par contre, ne lui présageait rien de bon.

   − As-tu trouvé ce qu’il recherchait ? demanda-t-il.

   − Non, la seule arme qui résidait dans l’écurie était la hache de Tompson, mais ça m’étonnerait franchement qu’un Huttlord parcoure tout Melinir pour une vieille hache rouillée.

   – Tu sais, il leur manque une case…

   – J’espérais bien retrouver quelque chose qui avait plus de valeur, mais lorsque nous avons remué les décombres pour trier l’inutilisable, je me suis résigné à l’évidence.

   − Tu en es sûr ?

   − Oui, ce monstre était siphonné. Il n’avait aucune idée d’où chercher et n’écoutait même pas ce que j’avais à dire.

   − Cette arme, si elle existe réellement, doit être exceptionnelle pour que Rha-Zorak convoque quelqu’un d’une telle envergure.

   – Effectivement, il n’envoie pas un Huttlord pour des pacotilles.

   – Malheureusement pour lui, il est tombé sur plus fort.

   − Sur plus chanceux, pas sur plus fort ! J’étais à un doigt de me faire étriper !

   − Nous devons mettre la main dessus, reprit Mornar. Soit ce Huttlord avait perdu la raison et confondait le crottin de cheval avec une armurerie, ce dont je doute fort, soit cette écurie recèle un véritable trésor !

   – C’est étrange, fit Eldan.

   – Quoi ?

   − Tu te mets à raisonner, et en plus c’est cohérent.

   – Bousiller des Huttlords te rend grincheux mon vieux.

   – Peut-être, mais comme je viens de te le dire, nous avons tout brûlé en dehors de la charpente réutilisable. Elle aurait été vue, il n’y a plus rien et c’est mieux comme ça !

   − Il faudrait vérifier.

   − Allons-y, si tu insistes !

   Après tout, ils n’avaient rien à y perdre.

   Les deux amis se mirent alors en route. Le jeune homme n’avait pas spécialement envie d’y retourner, mais il devait affronter ses peurs.

   − Il ne reste plus grand-chose de notre bonne vieille étable, remarqua Mornar en arrivant devant le tas de gravats.

   − C’est ce que je te disais !

   − Bon, alors au travail !

   − Mais pour la dernière fois, que veux-tu espérer trouver à part des cendres et du bois carbonisé ?

   − Nous allons chercher sous terre, Eldan, sous terre !

   Le jeune homme n’y avait pas vraiment pensé, mais c’était une solution envisageable bien qu’il n’y croie pas vraiment. Ils commencèrent à marcher sur les planches brûlées où de la poussière jaillissait à chaque pas.

   − Je crois qu’il nous manque un outil important, lâcha Eldan.

   Rebroussant chemin, ils partirent chercher ce qui leur manquait chez Mornar qui habitait non loin de là.

   − J’aurais dû penser à prendre des pelles…, concéda son ami.

   − Tu crois ? lança Eldan en secouant la tête.

   La motivation de son ami ne s’était pas estompée depuis qu’il avait appris qu’un objet d’une certaine valeur pouvait se cacher dans les décombres de l’écurie ; le goût de l’aventure était apparemment l’ingrédient qui lui manquait pour se sentir pleinement vivant.

   Une fois prêts au travail, ils firent attention qu’aucun villageois ne les observe de trop près pendant leur exhumation.

   − Où va-t-on chercher ? demanda Mornar en scrutant l’étendue des ruines.

   − Si cette arme est bien ici, elle ne doit pas être loin de la créature lors de ses fouilles.

   Eldan retrouva approximativement la zone en se repérant par rapport à l’entrée ; encore fallait-il qu’elle y soit.

   − C’est ici qu’il nous faut commencer.

   − Alors allons-y, lui dit Mornar en prenant sa pelle entre les mains.

   Les deux amis se mirent à la tâche, espérant y trouver le butin, et commencèrent par libérer le sol des quelques morceaux de bois calcinés, puis entamèrent de creuser chacun de leur côté, par gain de temps.

   Au bout d’une demi-heure, les trous mesuraient bien un mètre de diamètre, et étaient presque aussi profond, mais toujours rien. Ils continuèrent jusqu’à midi de creuser en examinant la moindre particule de terre.

   − Par la peau d’Ilirme ! fit Mornar lorsqu’ils s’assirent pour faire une pause. Je préférerais encore chercher une aiguille dans une botte de foin.

   − C’est toi qui a insisté pour venir.

   − Pourquoi penses-tu qu’elle soit ici précisément ?

   − Les Huttlords possèdent un sixième sens qui les rend bien différents des autres créatures, voilà aussi pourquoi ils sont si dangereux. Il devait sentir qu’elle était à proximité, sans pour autant la voir, ce qui expliquerait pourquoi il était si furieux.

   − Alors, faisons-lui confiance.

   Ils continuèrent à déterrer des mottes de terre et à exhumer de la caillasse, espérant apercevoir quoi que ce soit ressemblant à une épée, une hache ou un arc… si bien sûr l’objet en question était une simple arme blanche, et non un outil de sorcellerie. La poussière des cendres et la puanteur du charbon les ralentissaient considérablement, mais ne les décourageaient pas, malgré l’étendue relativement importante du terrain qui pouvait convenir aux recherches.

   Eldan suait comme s’il venait de traverser une pluie battante, mais continua son travail en ignorant les démangeaisons qu’il avait aux mains, qui allaient bientôt faire naître de jolies cloques. Creusant à deux mètres l’un de l’autre, ils rejetaient la terre qui se formait en un seul amas surplombant les deux fossés, et après quelques injures et découragements, leurs efforts furent enfin récompensés. Mornar lança sa pelle lorsqu’il repéra le fourreau d’une épée qui ressortait curieusement du fond de son excavation. Eldan posa instantanément la sienne et se pencha sur la découverte.

   Son ami eut un mal incroyable à extraire la lame de terre et Eldan crut qu’elle était bloquée par une racine ou une pierre :

   − Tu le fais-tu exprès où c’est vraiment lourd ?

   Car son ami était solidement bâti, et devait pourtant faire preuve d’un effort prodigieux pour soulever un morceau de métal qui devait peser moins du dixième de son poids. Après une grande inspiration, il resserra plus étroitement la poignée : mais impossible de la décoller à plus de dix centimètres du sol. Il la traîna donc vulgairement jusqu’à Eldan.

   Ce n’était pas normal.

   − Ma parole, soit j’ai une baisse de force inquiétante, soit cette épée est ensorcelée ! J’ai l’impression de porter mon père ! dit-il en la reposant à terre.

   Eldan esquissa un sourire en imaginant la scène, car son père collectionnait effectivement les kilos en trop, contrairement à Mornar qui n’avait pas une once de graisse.

   Le jeune homme s’avança et saisit fermement le manche des deux mains en se préparant à devoir mobilier toute sa force, mais ce ne fut étonnamment pas le cas. Une accueillante chaleur l’invita à se décrisper et à s’en servir : un message doux et intense à la fois.

   Mornar ajouta :

   − Je crois que cette épée ne nous servira à rien à part nous ralentir, si tu veux mon avis, et…

   Il s’arrêta net en voyant Eldan la brandir d’une main.

   Elle lui parut extrêmement légère, même plus légère que toutes celles qu’il a pu tenir. En fait, c’était comme si elle n’avait aucun poids.

   Il la dégaina sans aucune difficulté, et remarqua qu’elle dégageait une étrange aura de puissance, et qu’elle était vieille, resplendissante et mortelle, comme si chaque particule de sa composition respirait du danger. Il l’examina avec un œil de forgeron et constata qu’il n’avait jamais vu de lame aussi effilée.

   − Qu… quoi ?! s’exclama Mornar avec les yeux grands ouverts. J’ai failli me détruire le dos pour la décoller du sol !

   − Je n’utilise aucune force je te le promets, comme… si elle se portait d’elle même, c’est bizarre.

   − Laisse-moi essayer encore une fois, je veux en avoir le cœur net…

   Eldan la lui tendit, mais dès que Mornar la saisit, elle tomba au sol comme une enclume, l’entraînant presque à terre. Elle perdit aussitôt cette étrange émanation de grandeur, comme si elle se ternissait.

   − Mais c’est impossible ! Je n’ai jamais vu une chose pareille ! Attends, tu vas te lever saloperie de morceau de métal, grogna-t-il avant de s’étaler à plat ventre comme s’il venait de se faire aspirer par une force invisible.

   − Comme tu l’as dit, elle doit être ensorcelée, je présume qu’elle réagit différemment sur chaque individu.

   − Tu devrais la montrer à ton père, lui dit Mornar qui releva la tête de terre.

   − Ne t’inquiète pas, je le ferai.

   Ils discutèrent un moment des préparatifs nécessaires pour le départ du lendemain, ils convinrent de prendre l’épée avec eux et de partir aux premières lueurs de l’aube.

   Voulant profiter du peu de temps qui leur restait, ils prirent chacun le chemin de leur maison pour le passer en famille. Mais Eldan avait encore une tâche à terminer et récupéra donc la maquette qui reposait non loin de l’écurie. Une fois chez lui, il se mit immédiatement au travail et l’acheva à peine une heure plus tard. Il courut le rapporter au vieil homme qui lui ouvrit la porte avec une nonchalance habituelle, et néanmoins un semblant de satisfaction lorsqu’il reconquit son bien.

   – Beau travail…, dit-il en refermant lentement la porte.

   Même si ce service pouvait paraître aussi dérisoire que celui-ci, compte tenu des circonstances, il lui procura un sentiment de consolation qui lui fit un grand bien.

   Eldan prit le chemin de sa maison et retrouva son père à la forge pour lui expliquer sa découverte.

   − Tu as trouvé ce qu’il recherchait ?! demanda-t-il avec étonnement.

   − Oui, elle était enterrée sous l’écurie, c’est Mornar qui en a eu l’idée.

   − Bien pensé…

   − Mais pourquoi là ? Ça n’a aucun sens.

   − Je ne sais pas… L’écurie a été construite il y a plus de trente ans. Avant, il s’agissait d’une vieille habitation abandonnée, mais je ne me souviens pas de ses résidents.

   Eldan réfléchit aux circonstances, puis reprit :

   − Pourrais-tu l’examiner ? Il s’agit d’une épée.

   − Montre-la-moi.

   – Avant que tu ne la manipules, je dois te dire quelque chose. Ce n’est pas une arme ordinaire, je n’ai pas pu déterminer quels étaient les métaux qui la composaient, nous devons être prudents. Mornar n’a pas pu la décoller du sol alors que je l’ai fait d’une main.

   Il la sortit de son fourreau sous l’œil aguerri de son père qui remarqua aussitôt qu’elle avait dû réclamer un travail titanesque, un seul mot lui vint à l’esprit.

   Perfection.

   L’épée avait tout simplement été forgée à la perfection.

   Eldan la déposa sur la table et Roald tenta de la soulever, mais le résultat fut le même que pour Mornar ; elle semblait peser une tonne. Ne souhaitant pas s’abîmer le dos, il ne chercha pas à forcer davantage.

   Pour lui prouver l’étrangeté du phénomène, Eldan la manipula avec une aisance déconcertante.

   Songeur, Roald examina la lame dans ses moindres recoins :

   − C’est effectivement très surprenant… Son alliage ne m’est pas familier : un mélange de plusieurs métaux, le carbone y est prédominant, mais je n’arrive pas à distinguer la provenance de chaque composant. Je n’ai jamais pu observer un tel effet, surtout après avoir été enseveli durant plusieurs années. C’est une antiquité d’après la manière dont elle a été forgée ; elle date peut-être de cent ans ou même beaucoup plus, je ne suis pas assez connaisseur pour m’avancer davantage. Elle doit avoir une valeur inestimable.

   − C’est bien plus que de la simple sorcellerie.

   − Il s’agit apparemment d’un ensorcellement particulièrement puissant qui ne s’est jamais estompé.

   − Pourtant Rha-Zorak…

   − Rha-Zorak possède un pouvoir qui défie tout ce que nous avons déjà vu, mais jusqu’à présent, aucun être vivant n’a manifesté de telles capacités.

   − J’ai lu quelques ouvrages sur lui, mais rien de concret n’en est jamais ressorti. La seule chose dont on soit sûr est qu’il contrôle les éléments naturels, et peut donc déclencher des cataclysmes terribles.

   − Peut-être… mais revenons à l’épée, tu sais donc que des sorciers ont recours à des procédés qui peuvent modifier complètement les caractéristiques d’un objet, voir créer des propriétés surnaturelles.

   − Par le biais de potions, par exemple, qui peuvent guérir des plaies mortelles, ou encore augmenter certaines aptitudes du corps humain, et maman en possèdent quelques-unes, d’ailleurs…

   − Ou ensorceler des armes, mais l’effet ne dure jamais très longtemps, quelques jours au maximum. Le métal perd très rapidement ses particularités additionnelles.

   − C’est ce qui ne colle pas avec cette épée ! Le sort a sûrement dû être jeté il y a plusieurs années !

   – Je dirais même plusieurs dizaines, voire centaines d’années…

   – Et pourquoi suis-je le seul à pouvoir la porter ?

   − Nous ne sommes que trois à avoir essayé de nous en servir, tu n’es probablement pas le seul.

   − C’est vrai.

   − Elle a subi un enchantement très puissant. Il est courant que certains forgerons aient recours à des sorciers pour cela, mais l’effet ne dure jamais plus de quelques jours, et comme tu le disais. C’est étonnant avec cette lame, car elle est restée intacte, tant au niveau du métal, que de ses attributs. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas assez avancé pour t’expliquer sa vraie nature. En revanche, je connais quelqu’un qui pourrait t’aider, Merino Dubir. Il tient un musée dans la cité d’Aquira, il s’agit une personne d’un très grand savoir et un véritable historien des armes, il saura sûrement te dire d’où elle provient.

   − Merci beaucoup, dit simplement Eldan.

   Il quitta sa maison en vitesse pour se rendre chez Mornar qu’il avertit de leur destination pour le départ du lendemain, et retourna chez lui sans perdre de temps.

   Sachant qu’il ne reverrait plus ses parents avant très longtemps, il passa le reste de la soirée à leurs côtés et leur expliqua son projet ainsi que les chemins qu’ils emprunteraient. Sa mère lui fit ses mises en garde habituelles sur un ton qui en disait plus sur son inquiétude qu’elle ne voulait le faire croire. Il acquiesça sans la contrarier, ne souhaitant pas lui causer plus de soucis qu’elle n’en avait déjà.

   Par moment, il la voyait tourner la tête pour dissimuler quelques larmes.

   Eldan sentit qu’il devait parler d’autre chose, car il ne voulait pas passer ses derniers instants à leurs côtés dans une telle ambiance, et après avoir détourné le sujet, son père comprit que ses histoires seraient les bienvenues.

   Ce soir là, il fut vraiment inspiré, et les fit rire à en avoir mal au ventre. Eldan passa une bonne soirée, comme il l’avait espéré.