Melinir Tome 1 - Chapitre 36 - Le secret

Chapitre 36 – Le secret

Je respire, donc je m’entraîne.

Notes personnelles – Elzear Semenral
Melinir Tome 1 - Chapitre 36 - Le secret

   Trois semaines passèrent et Eldan avait finalement appris à puiser son énergie aux bons endroits, lui évitant de s’éreinter à longueur de journée. Il lui avait fallu franchir ses limites physiques et psychologiques pour parvenir à cette maîtrise de lui-même, et c’était ce qu’attendait Elzear ; Haïdalir s’était habitué à la rudesse des entraînements. Il pouvait maintenant pratiquer et engager des combats corrects contre Elzear qui le guidait au fur et à mesure de sa progression. Malgré la troublante vision de la jeune femme, Eldan avait toujours eu confiance en son mentor, bien que celui-ci ne s’était pas plus ouvert à lui sur son passé.

   Il commençait tout de même à se demander si tout ce travail à mains nues n’était pas inapproprié à sa fonction de Haïdalir, car son but était de maîtriser Zaor, et il ne l’avait pas encore manié depuis le début de sa formation.

   Mornar, lui, passait son temps entre ses cours d’archer et sa nouvelle passion : Silève, avec qui il s’entendait à merveille.

   Lalya continuait d’aider Aména aux tâches ménagères, sans oublier une pratique quotidienne d’exercices auxquels elle s’était habituée.

   Comme ils l’avaient escompté, aucun Huttlord n’était revenu chez les Semenral, la ruse semblait donc avoir fonctionné… du moins pour quelque temps, une durée qu’ils espéraient suffisante pour qu’Elzear puisse former le jeune homme. Voilà donc plusieurs semaines qu’aucun incident n’était survenu, contrairement au voyage que les trois compagnons avaient enduré à travers Melinir, qui leur avaient coûté deux amis chers. Cette douce atmosphère de quiétude avait décontracté la relation qu’ils entretenaient, et ôté, ou plutôt atténué les soupçons que Lalya éprouvait envers Elzear.

   Ils se forçaient toutefois à garder les pieds sur terre, car ils se doutaient que les représailles n’allaient pas tarder, des Huttlords reviendraient tôt ou tard ; Rha-Zorak comprendrait très bientôt que ses émissaires n’avaient pas exécuté la mission pour laquelle ils étaient chargés, et que le message qui lui avait été transmis était bidon. C’était une question de temps, Eldan devait donc profiter de se former au plus vite auprès d’Elzear.

   Ni lui, ni Mornar ou Lalya n’avaient revu Etimer, pour le plus grand contentement du jeune homme, une satisfaction qu’il avait du mal à interpréter par de la méfiance ou de la jalousie.

   Haïdalir était à présent face au plus lourd des sacs de frappe, et perfectionnait ses techniques de poings, de pieds, de coudes et de genoux. Elzear jonglait entre ses exercices personnels et son rôle de professeur, car il exécutait des mouvements qu’Eldan n’était tout simplement pas capable d’accomplir.

   Les combats devenaient plus intensifs, et bien plus intéressants, passant des frappes au corps à corps, jusqu’à l’immobilisation complète au sol par une clé ou un étranglement ; le maître guidait son élève.

   Il lui reposa la question habituelle :

   − Qui combats-tu ?

   Les affrontements se précisèrent sur le déséquilibre et la canalisation d’énergie, où l’essentiel du travail se déroulait à l’intérieur. Après avoir traité le domaine sous plusieurs angles, Elzear prit un bokken pour la première fois, un bâton légèrement incurvé et pourvu d’une garde, qui ressemblait davantage à un sabre qu’à une épée. Eldan se réjouit en voyant une arme intervenir dans son entraînement, car il craignait de ne pas avoir le temps d’en manier.

   Le maître prit la parole :

   − Je vais maintenant t’apprendre à désarmer un adversaire. La règle, c’est de reculer ou de foncer, il n’y pas d’autre alternative. Être à distance pour ne pas te faire toucher, ou assez proche pour ne pas lui permettre de manœuvrer correctement.

   « Entre ses deux distances, c’est-à-dire à sa portée, c’est très simple, tu es mort. Mais comme je l’ai déjà dit, la théorie est une chose, la pratique en est une autre.

   Elzear lança un bokken à Eldan et lui montra différentes manières d’approcher un assaillant armé, principalement par bonds, et lui apprit qu’il y avait un moment exact où il fallait agir. Le temps de réaction était d’une importance capitale, il résultait de la vie ou de la mort.

   Après avoir compris comment casser la distance, ils passèrent au désarmement. Il y avait encore une fois plusieurs méthodes, encore propres à chaque pratiquant ; l’explosivité nécessaire afin de bondir sur son adversaire demandait une grande détermination, mais Eldan ne buta pas sur ce point.

   Eldan comprit vite comment réagir et se déplaçait avec stabilité lors de son désarmement, bien qu’il avait l’impression de percuter un véritable mur d’acier, Elzear n’opposait pas de résistance lors de sa défense pour permettre à Eldan d’appliquer correctement la technique.

   Ils terminèrent l’entraînement par les traditionnelles séances de renforcement et d’étirement.

   Eldan était à son cinq-centième relevé de buste, sans compter les deux-cents autres qu’ils venaient d’effectuer une heure auparavant ; ses abdominaux étaient en feu, une sensation qui était devenue naturelle et presque habituelle.

   − Tu pratiques depuis l’enfance ? demanda le jeune homme entre deux relevés,

   − Depuis mes sept ans, c’est en grandissant que j’ai développé ma propre démarche.

   − Laquelle ?

   − Celle qui m’est propre.

   − Celle que tu m’enseignes ?

   − Non, ça, tu es en train de le faire tout seul, je t’apprends simplement à manipuler les outils pour y parvenir.

   − Il doit bien y avoir un modèle à suivre pour…

   « Non, reprit Eldan en venant toucher ses genoux pour la cinq-cent-soixantième fois. C’est à moi de me construire, à moi d’ouvrir ma propre voie. Il n’y a pas de modèle à suivre, je suis le modèle. C’est moi que je combats…

   − Pardon ?

   − Chaque fois que tu me demandes qui je combats… je viens de comprendre que je n’ai pas besoin d’imaginer quelqu’un, c’est moi que je combats, et ce sera toujours le cas. Mon opposant n’est pas matériel, je suis mon propre adversaire.

   − Tu peux t’arrêter pour aujourd’hui, lui répondit Elzear d’un calme bienveillant. Nous aborderons demain un sujet que tu es maintenant prêt à comprendre. Va te reposer.

   Eldan crut au début qu’il se moquait de lui, mais il était très sérieux : « va te reposer », il n’avait jamais dit une chose pareille depuis que le jeune homme avait commencé à suivre son enseignement.

   Eldan se lava rapidement et retrouva Mornar, Lalya et Silève devant la maison.

   Les deux femmes semblaient en vive discussion.

   − Ha ! Te voilà, dit Mornar d’un ton réjoui. J’en avais assez des commérages féminins.

   Eldan lui donna une tape sur l’épaule :

   − Tu as eu cours aujourd’hui ?

   − Oui, je crois que je commence à m’attacher à cette vie, dommage qu’il faille partir tôt au tard…

   − Oui, ça ne nous fait pas de mal… et comment vont les filles ?

   − Comme d’habitude.

   Lalya vint vers Eldan.

   − Alors grand guerrier, la forme ? dit-elle en lui déposant quelques coups sur la poitrine.

   − Je m’y habitue, répondit-il. Nous avons utilisé des armes, aujourd’hui.

   − Bien, je commençais à me demander si ce n’était pas une perte de temps, mais je pense qu’il sait ce qu’il fait. J’ai remarqué que ces méthodes sont vraiment propres à lui, il n’enseigne pas un style spécial.

   − Exactement. Il m’a dit rechercher ce qu’il y a de meilleur en chaque art martial. Il combine le tout pour l’adapter à une méthode qui lui correspond personnellement.

   « Il ne m’apprend pas à reproduire des mouvements prédéfinis, mais à comprendre et à développer les miens.

   − En parlant de combat, lança Mornar avec une idée en tête. Tu te souviens des bonnes vieilles luttes de notre enfance ?

   − J’aimerais voir cela…, fit Lalya avec un sourire.

   − Je crois que j’en ai assez fait pour aujourd’hui, dit Eldan, épuisé.

   − Bon, je vais aider Aména en cuisine, affirma Silève, appelez-moi lorsque Mornar sera par terre.

   − Merci de ton soutien ma belle, ça me fait chaud au cœur.

   Lalya s’adressa à Silève qui pénétrait à l’intérieur :

   − Je vous rejoins tout de suite. Je ne peux pas rater ça.

   Mornar s’avança dans l’herbe et invita Eldan, qui lui fit face à contrecoeur.

   Voulant le plaquer au sol, son ami le chargea immédiatement au niveau des hanches, mais son mouvement fut perceptible, bien plus lent que les autres fois. Instinctivement, Eldan pivota sur sa jambe droite et accompagna sa ruade en appuyant une main sur sa nuque. Il ressentit le chi le parcourir comme la foudre pour renforcer ses appuis ; Mornar se retrouva à plat ventre, abasourdi.

   Tant bien que mal, il se releva et s’avança pour saisir les bras d’Eldan, qui ressentit aussitôt l’orientation de sa force et comment le déséquilibrer. L’archer commit une faute en gardant un pied trop proche d’Eldan qui le faucha immédiatement, puis le remit sur pied avant qu’il ne s’écroule trop brutalement. Malheureusement, Mornar ne lâcha pas le morceau, il recula et l’observa.

   La lutte continua un court instant avant qu’Eldan le retourne par une projection ; le combat prit fin.

   − Je crois que je n’ai plus le niveau, dit Mornar en se relevant.

   Il enleva les brindilles qu’il avait entre les cheveux, puis secoua la tête.

   Le jeune homme se réveilla avec motivation en prenant conscience qu’il venait de franchir une étape dans son processus d’apprentissage, et qu’Elzear allait aborder aujourd’hui un sujet visiblement important.

   − Je vais d’abord te faire réfléchir un minimum, dit le maître. Pour toi, quel est le secret de ma pratique ? La réponse est très simple.

   − De ta pratique ?

   − De la mienne, de la tienne, de toutes les autres, et de toutes les activités physiques ou psychologiques.

   − À vrai dire, je n’en ai aucune idée. Cela peut-être beaucoup de choses… le chi ?

   − Non.

   − La vitesse ?

   − Non plus.

   − La répétition ?

   − Essaie encore.

   Eldan ferma les yeux et passa chaque notion en revue, mais rien de probable ne lui venait à l’esprit.

   − La souplesse ?

   − Toujours pas.

   − Les réflexes ?

   − Réfléchis encore, plus globalement.

   − La puissance ? … la lucidité ? Non, je sais ; la volonté ?!

   − Tu approches.

   − Je ne sais plus quoi dire… qu’est-ce que c’est ?

   Elzear ne put s’empêcher de sourire devant l’empressement d’Eldan :

   − Comme tu le souhaites, voici la réponse : l’entraînement.

   − L’entraînement ?

   − Exactement. L’entraînement pur et dur, quotidien, régulier, intensif, profond, et personnel. C’est l’outil de progression. Une discipline de fer pour un corps de fer. Un corps d’acier pour un mental d’acier.

   − Il s’agit simplement de cela ?

   − Simplement. Mais la pratique doit être constante et doit s’imprégner de chaque mouvement du quotidien, en marchant, en mangeant ou en travaillant. Lorsque par exemple, tu coupes du bois, ou que tu travailles du métal à la forge, exécute-le parfaitement ; recherche une continuelle maîtrise. Parfais-le à chaque fois. C’est un art, une manière de vivre.

   − Rechercher toujours une constante amélioration de soi-même.

   − Ne regarde pas autour de toi pour trouver la lumière, regarde en toi.

   « Depuis la nuit des temps, le combat est une manière de s’exprimer, de survivre. À nous d’en choisir une valeur qui nous améliore en tant qu’être humain. C’est une notion fondamentale qui entoure les êtres vivants qui cherchent à se protéger.

   « C’est le seul art qui existe chez les animaux. As-tu déjà vu un tigre faire de la peinture ? Ou un chat composer de la musique ? Mais il est fréquent de voir un tigre ronger du bois pour aiguiser ses dents ou un chat travailler ses griffes.

   − Je comprends.

   − C’est une voix à suivre, un code de vie. Ressens-le.

   Eldan passa le reste de la journée à appliquer ce simple principe selon lequel la perfection se travaillait dans chaque mouvement du quotidien.

   Alors qu’Eldan se lavait, le maître s’approcha de lui :

   − Je vais bientôt te montrer un moyen sûr et rapide pour quitter l’île en cas de danger.

   − Le Sirenie a quelques comptes à me rendre, le capitaine Hortal m’a offert un laissez-passer pour une libre circulation à bord de son navire.

   − Je sais, mais il vous faut un moyen plus rapide qui vous permettrait de quitter l’île instantanément. Personnellement, j’utilise un Orkalot pour rejoindre Horp − lorsque je dois le faire dans l’immédiat. Il n’aura aucun mal à vous transporter les trois.

   − Tu as une flûte des mers ?

   − Oui. Je t’apprendrai la mélodie demain.

   − Pourquoi me dire ça ? Tu as vu du danger ?

   − Non, mais cela ne saurait tarder. Rha-Zorak va effectuer des recherches à Sulleda, et sûrement envoyer d’autres Huttlords. Je pense qu’il va tout mettre en œuvre pour parvenir à son but, car il a déjà perdu trois de ses meilleurs guerriers par ta faute.

   − J’ai aussi beaucoup réfléchi à ce que nous ferons ensuite, j’aimerais retrouver Alheam Nithril. Sa présence aurait un poids considérable sur notre réussite.

   − Personne ne sait où il réside, tu ne pourras qu’espérer le voir apparaître la veille d’une bataille.

   − Je le retrouverai.

   − Et comment ?

   − Comme nous l’avons fait pour toi. Grâce à Lalya, il y aura forcément un objet lui ayant appartenu.

   − Je comprends ton choix, mais honnêtement, Lalya et toi êtes une arme bien plus dangereuse qu’Alheam Nithril. Le don qu’elle possède est inédit, et l’arme que tu détiens n’a encore jamais été égalée. C’est un guerrier hors pair, certes, mais il ne détient pas Zaor.

   − Si, une arme la surpasse, je pense.

   − Laquelle ? demanda Elzear avec étonnement.

   − Le médaillon de Rha-Zorak, c’est de là qu’il puise sa force. Je crois que les cataclysmes qu’il a déclenchés proviennent de cet objet.

   − Comment le sais-tu ?

   − Lalya a eu une vision lorsque nous traversions la Région des Tempêtes.

   − Alors c’est cela…, dit-il dans une profonde réflexion.

   − Nous ne te l’avions pas déjà dit ?

   − Non. Vous êtes probablement les seuls à connaître l’existence de cette arme. Vous seuls pouvez le renverser.

   − Mais dans cette même vision, Lalya a vu un homme transpercer Rha-Zorak de part en part, en plein cœur, sans qu’il bronche. Il a ensuite retiré l’épée sans difficulté. Apparemment, même les armes ne lui font rien ! Comment m’assurer que Zaor le tuera ?!

   − Elle le tuera, crois-moi. Je l’ai possédé assez longtemps pour savoir de quoi elle est capable.

   − Je te fais confiance, dit Eldan.

   « Une autre chose m’inquiète.

   − Laquelle ?

   − Rha-Zorak peut-il demander un traité avec le gouverneur de Sulleda, comme il l’a fait à Horp ?

   − C’est malheureusement possible, et Sulleda sous-estime bien trop Rha-Zorak. Lord Stencel n’accepterait pas.

   − Que se passerait-il ?

   − Rien de bon…

   Eldan détourna la tête puis termina la discussion :

   − En ce qui concerne Alheam Nithril, je pense que nous allons tenter de le retrouver ; sa présence sera peut-être indispensable.

   − J’en doute, la victoire ne dépendra pas de lui, ne le recherche pas indéfiniment. M’est avis de ne pas le faire du tout, mais je ne t’oblige à rien. Alheam Nithril apparaît quand il choisit d’apparaître.