Melinir Tome 1 - Chapitre 8 - Le blessé

Chapitre 8 – Le blessé

Singal : Primate vivant dans les forêts. Peut s’aventurer dans les plaines pour chercher de quoi se nourrir. Il est agressif et possède de longues dents carnassières.

Formes de vie – Encyclopédie du Savoir d’Aquira
Melinir Tome 1 - Chapitre 8 - Le blessé

   Eldan tira les rênes de son cheval et Flèche-Noire s’arrêta. Un bosquet d’une vingtaine de merisiers, d’ormes et de frênes leur offrait un moment de répit. Ils avaient voyagé toute la journée, et devaient maintenant se reposer pour manger la moindre.

   Le refuge était l’endroit idéal, trop petit pour abriter une créature nuisible, et trop grand pour rester visible. Eldan attacha Flèche-Noire à un jeune merisier, puis aida Mornar à descendre de sa monture, encore trop affaibli pour se déplacer seul.

   Les deux amis s’installèrent au centre du bosquet. Eldan lui prépara un lit de feuilles et fit immédiatement du feu grâce à deux pierres de silex qu’il avait emportés de chez lui, puis fixa la toile qui leur servirait de protection pour la nuit.

   − Ça te fait toujours mal ? demanda-t-il.

   − Ouais… mais j’ai le sentiment que ça cicatrise, la douleur a un peu diminué ; le PurCiel a dû soigner le plus grave.

   − Tant mieux, s’exclama Eldan avec soulagement. Mange quelque chose, tu dois reprendre des forces rapidement, Aquira est encore loin.

   Mornar s’assit difficilement, une main sur sa blessure, puis grignota quelques biscuits.

   Tant bien que mal, il avala quelques fruits, du casse-pain et but l’eau qu’Eldan avait puisée dans le Lac Mélam quelques heures auparavant.

   Il se sentait déjà mieux.

   Eldan s’installa auprès du feu et savoura le magnifique spectacle que lui offraient les flammes ; elles arpentaient le vide tel des danseuses, le draguant, l’hypnotisant. Il vit que Mornar les observait aussi et laissait voyager son esprit. Ils étaient silencieux, profitant d’être encore vivant, car ce genre d’incidents pouvait surgir à tout instant, et ils devaient s’habituer à leur nouvelle vie en oubliant le calme et la sécurité de Hatteron.

   Non loin de là, un animal surgit d’un arbre : la silhouette d’un primate se dessina à la lisière du bosquet.

   Il sortit de ses rêveries et chuchota :

   − Un Singal nous observe depuis la lisière.

   − Je l’ai vu, pas un bruit…

   Eldan empoigna le manche de son épée, car l’animal s’approchait d’eux.

   Il boîtait.

   Le jeune homme se décrispa :

   − Il est blessé…

   Le Singal continua d’avancer vers les deux étrangers. Il avait faim, mais ne pouvait se battre, trop affaibli. Il fallait tenter sa chance et suivre son instinct qui l’avait guidé jusqu’à ces deux humains. Il vit qu’un des deux était blessé.

   Comme lui.

   L’animal ne tarderait pas à mourir. Ne pouvant plus chasser, il ne se nourrissait plus suffisamment. Sa blessure était de plus en plus douloureuse, et ne guérissait pas, mais empirait de jour en jour.

   Il arriva à proximité du feu en montrant les dents. Il grogna en espérant dissimuler son état laborieux.

   En guise de réponse, l’humain non blessé sortit quelque chose de long, dangereux, mortel… Cette horreur le paralysa.

   Un seul regard sur cette chose lui fit comprendre qu’il était perdu. Elle lui fit penser à la mort, bien que de cette mort était très belle. L’humain détenait la beauté de la vie et la puissance de tous les dangers réunis.

   Le Singal recula d’un pas tremblant, apeuré ; cette mort s’était dirigée vers lui.

   Il trébucha et poussa un cri strident.

   Aussitôt, cette mort se rangea dans son fourreau et son propriétaire parut tout à coup bienveillant, comme s’il passait des ténèbres à la lumière. L’animal put reprendre quelque peu confiance en lui.

   L’humain lui lança un morceau de nourriture.

   Il sursauta au début, croyant à une attaque. Mais c’était bel et bien de quoi se remplir l’estomac. Le Singal engloutit son repas aussitôt. Ce n’était pas de la viande, mais c’était bon. Son corps en aurait besoin. Enfin, le plaisir de se nourrir !

   L’autre, le blessé lança à son tour quelque chose. C’était rond, gorgé d’eau, sucré et délicieux. Il connaissait bien cet aliment.

   Dès que l’animal eut fini de manger, le porteur de cette mort se leva et s’avança vers lui. Le Singal eut très peur au début, mais, voyant qu’il n’avait pas d’intention nuisible, eut un comportement qu’il n’avait jamais eu dans sa vie. Il le laissa l’approcher ; sentant qu’il ne lui ferait aucun mal. Après tout, il était sûrement très grand, il possédait cette chose extraordinaire…

   L’humain sortit un petit objet en bois et trempa sa griffe dedans. Il tenta de saisir sa patte blessée, mais elle était encore trop faible ! Que faisait-il ? Le Singal se recroquevilla instinctivement, puis observa cet humain − qui paraissait différent des autres.

   En suivant son intuition, il offrit finalement son membre mutilé, ignorant la véritable motivation de son choix.

   Le porteur appliqua une étrange texture sur la plaie. Ça brûlait. Il l’étala le long de la blessure. Puis, se releva et retourna à sa place. Une douce chaleur soulageante se répandit sur l’étendue de sa plaie.

   Son membre retrouvait gentiment son intégrité, la douleur s’en allait. Il remua la patte… mais ne sentit plus cette entrave, plus ce fardeau qui lui aurait pris la vie. Il pourrait désormais vivre comme avant. Une chaleur d’admiration lui pinça le coeur. Mais pour un humain ? Il ne comprenait plus. Il croyait qu’ils ne faisaient que tuer ses semblables.

   En tout cas, celui-là l’avait sauvé.

   Il s’avança alors vers son bienfaiteur et fit ce qu’il faisait d’habitude avec d’autres Singals pour remercier. Il lui toucha le torse, synonyme de force, puis le front, synonyme d’intelligence, et s’inclina enfin avec respect.

   L’animal repartit d’où il était venu, avec un sentiment qu’il n’avait jamais réellement ressenti. Et surtout avec la volonté d’affronter la vie. Il avait obtenu une deuxième chance, il en profiterait. Il n’était plus blessé.