Clan des Pillards : Organisation secrète spécialisée dans le vol et le brigandage. Leur chef travaille parallèlement avec Rha-Zorak pour des missions d’espionnage. Une entente avantageuse aux deux partis.
Régions, Autorités et Organisations – Encyclopédie du Savoir d’Aquira
Le réveil fut plus compliqué que les précédents, car ils n’allaient pas tarder à faire de nouvelles connaissances.
Un bruit tira Eldan hors du sommeil, un son plutôt, qui provenait d’une discussion animée de l’autre côté du rocher. Il distingua trois voix différentes avant de se redresser dans une certaine urgence.
Son intuition lui soufflait qu’il fallait les éviter à tout prix, il pouvait bien s’agir de soldats de Rha-Zorak. Il se leva en dégainant silencieusement son épée et regarda Mornar qui dormait toujours à poings fermés ; puis soupira, car le voyage, aussi tranquille qu’il avait été risquait de prendre une tout autre tournure.
Il espérait que leur campement passerait inaperçu, car de nombreux Pillards utilisaient ces plaines comme des terrains de jeux, et il n’avait aucunement envie de se confronter à eux.
Ils n’étaient tout simplement pas de taille.
Apparemment, les trois inconnus se tenaient derrière le rocher, à quelques mètres.
Il se concentra pour écouter leur conversation :
− Écoute-moi, nous lui dirons que le butin était introuvable, voilà tout !
− Penses-tu sincèrement qu’il avalera une telle idiotie, Lastar ?!
− Etimer est plus tolérant que tu ne le croies…
− J’ai vite changé d’opinion lorsque je l’ai vu trancher la tête de
Sulfran, simplement par contrariété.
− Sulfran était un menteur et une saloperie de violeur, et je pourrais te citer bien d’autres obscénités à son propos. Personne ne l’aimait, et crois-moi, personne ne le regrettera. Et si cet idiot avait eu l’audace de répondre, il n’aurait pas tenu une seule seconde face à Etimer. On dit qu’il n’a jamais perdu un duel.
− Etimer ?! Notre chef ?!
− Notre chef ?! Mais bien sûr notre chef, crétin ! De qui voulais-tu que je parle, du paysan de la vallée ?! C’est un bretteur hors pair, jamais vu quiconque lui arriver à la cheville. Il a remporté les cinq derniers Bâtons d’Or d’Aquira !
− Je l’ignorais.
− Écoutez un peu au lieu de crier comme des oies, les coupa la troisième voix. On dirait un hennissement.
− Nous aurons peut-être un semblant d’argent, s’écria le dénommé Lastar. Allons visiter les alentours du rocher…
Eldan réagit instantanément dès qu’il entendit sa jument hennir, et accourut vers son ami pour le secouer.
− Réveille-toi ! Des Pillards sont ici !
− … lapin…, balbutia Mornar à moitié endormi.
Eldan lui adressa une jolie claque pour le réveiller, le malheureux se leva en sursaut. Il fallait faire vite.
− Tu es dingue ? s’exclama-t-il en levant une main menaçante. Me réveiller de la sorte, je vais t’en retourner une pareille, tu verras si…
D’une voix perçante, Eldan lui coupa la parole pour le mettre au parfum, lequel prit son arc et se leva en regardant alentour d’un air anxieux.
Trois hommes apparurent à l’angle du rocher.
Ils étaient modestement habillés, des tuniques grises et déchirées, avec un foulard sur le front, laissant effectivement penser à des Pillards. L’un d’eux avait une arbalète chargée et prête à tirer.
− Bien joué… tu avais raison Naster.
− Ne bougez plus ! s’écria l’arbalétrier.
Eldan et Mornar se regardèrent et d’un commun accord, baissèrent leurs armes, trouvant cette alternative plus prudente.
− Je crois que vous nous mettez dans l’obligation de vous subtiliser quelques biens ? continua l’arbalétrier, derrière un rictus amusé.
Les deux autres hommes éclatèrent de rire, ils savaient que ces deux jeunes voyageurs n’étaient pas de dangereux adversaires, sûrement des fermiers.
Un certain manque d’assurance se lisait sur leur visage.
S’avançant de quelques pas, le plus grand pointa son arbalète en direction de Mornar.
Dans un bruit sourd, la flèche quitta son arme pour s’enfoncer dans l’estomac de son ami, plongeant Eldan dans un état de paralysie, comme si la peur avait pétrifié chacun de ses muscles ; il savait aussi qu’il serait le suivant.
Dans un cri effroyable, Mornar se plia en deux et tomba au sol, tordu de douleur. Eldan savait qu’il ne devait pas bouger s’il ne voulait pas se retrouver dans la même situation.
− Voilà, dit-il avec le sourire, maintenant, nous pouvons coopérer.
Le tireur s’avança et prit l’arc de Mornar, qu’il lança quelques mètres plus loin. Il regarda sa victime ramper et rechercher son souffle, puis lui donna un vigoureux coup de pied dans la tête qui le projeta sur le dos.
Un impact lourd et violent.
Le Pillard revint vers ses confrères d’un air satisfait. Comme si ce n’était qu’un simple jeu.
Eldan bouillonnait de l’intérieur, il était devant un dur dilemme. Agir maintenant ou attendre qu’ils partent. Il regarda son ami, saignant abondamment, une flèche dans le ventre. Il n’allait pas tarder à mourir…
Des larmes de rage lui brûlaient les yeux, mais il devait se résigner à l’évidence :
− Je me rends ! Tenez mon arme, mais par pitié arrêtez, nous vous donnerons tout ce que vous voudrez !
− Voilà un jeune homme bien arrangeant, dit le dénommé Lastar en riant.
Eldan se dirigea vers lui en rengainant son épée :
− Elle a une très grande valeur, prenez-en soin…
Sans un mot, le Pillard, avide de richesse, s’en empara sans penser aux conséquences, sans penser que ce butin serait différent de tous ceux qu’il avait déjà eus.
Dès qu’Eldan lâcha prise, il vacilla involontairement vers l’avant, comme s’il essayait de retenir un rocher d’une tonne.
L’effet tant espéré.
Profitant de la chute de son adversaire, Eldan lui assena un violent coup de genou au visage qui, emporté par l’épée le reçut au maximum de sa puissance. Il s’écroula, inconscient, sous le regard des deux autres qui n’avaient pas compris ce qui venait de se passer.
Eldan la dégaina avec rapidité en se tournant vers le deuxième Pillard : l’arbalétrier, qui n’eut pas le temps de réagir, secoué par ce retournement de situation. C’est aussitôt qu’il vit ses deux avant-bras tomber, sectionnés nets par cette machination du diable qu’il détenait entre ses mains.
Le deuxième homme s’écroula.
Le troisième était énorme ; il se rua sur Eldan armé d’une rage incontrôlable et d’un glaive qu’il abattit avec force, mais le jeune homme était déjà hors de portée. Le géant continua son assaut en l’attaquant sur son côté gauche. Cette fois, Eldan n’eut pas le temps de reculer, et leva sa lame au contact de la sienne. Le glaive se brisa en mille morceaux, au plus grand étonnement des deux.
Mais l’assaillant ne se découragea pas, il rugit et lui envoya un judicieux coup de pied aux genoux, qui le fit chuter, balayé, son épée lui échappant des mains. Le Pillard s’avança et sauta sur sa proie en le saisissant à la gorge. Eldan tenta de lutter, mais son adversaire était beaucoup trop fort, et surtout pris par une frénésie qu’il n’arrivait plus à contrôler. Il n’avait qu’un seul but : lui fracasser le crâne.
Le jeune homme n’arriverait pas à prendre le dessus.
C’est avec cette pensée qu’il reçut le premier coup à la tête, plaqué au sol. Les phalanges du Pillard s’écrasèrent sur sa pommette gauche comme une massue, puis une seconde frappe en direction de la mâchoire lui fit lâcher prise. Le jeune homme eut l’impression de se faire défoncer la tête par un tronc d’arbre. Un nouveau coup le fit flotter dans les airs, assommé. Son champ de vision se noya dans les ténèbres…
Après avoir retrouvé ses esprits, la seule chose qu’il perçut fut le corps de son agresseur s’écrouler sur le côté, mort.
Le troisième homme était tombé.
Eldan mit quelques instants à revenir réellement à lui. Il se releva tant bien que mal et vit que le géant était bel et bien mort, une flèche plantée dans la gorge. Eldan se retourna et vit Mornar étendu sur le côté, l’arbalète en main.
− On les a eus ces salopards…, dit-il avec le peu de force qui lui restait.
Il tremblait terriblement.
Eldan courut à ses côtés, puis déchira les deux manches de son vêtement pour les appliquer sur la blessure. Les saignements devaient diminuer.
− Je ne sais pas si je pourrai t’accompagner jusqu’…
Les mots se perdirent dans une respiration gorgée de sang. Il posa sa main droite sur sa meurtrissure.
− Tais-toi ! s’écria Eldan le souffle court. Tu viendras à Aquira ! Il n’est pas question du contraire.
− Regarde-moi, j’en ai sûrement pour quelques minutes, même moins… je perds trop de sang…
− Il faut d’abord extraire la flèche… ça va faire mal.
Il cassa l’extrémité et lança la pointe, Mornar serra les dents. La partie la plus difficile se présentait maintenant : retirer le projectile.
La douleur allait être difficile à supporter, il fallait que son ami l’oublie, ou du moins pour quelques instants ; il devait donc agir d’un coup sec. Eldan lui donna une tape derrière la nuque et retira la flèche aussitôt. Mornar cria comme il ne l’avait jamais fait.
− Excuse-moi pour la nouvelle gifle, mais il fallait.
− Je t’en dois deux, maintenant… avec celle de ce matin.
Il ne put s’empêcher de lâcher un rire rauque, gorgé de sang, puis regarda Eldan :
− Écoute-moi… ne perds pas ton temps ici, tu ne peux plus rien pour moi… J’ai perdu trop de sang… je mourrai sur Mandoline si je t’accompagne. Il n’y a pas d’habitation à moins d’une journée de voyage…
Mornar avait raison, mais il ne pouvait le laisser là, au milieu de ses assassins. Il ne pouvait admettre que son meilleur ami était en train de mourir sous ses yeux.
− Eldan… pars d’ici, tout de suite…
Puis, une idée lui vint avec les premières lueurs du matin. Un souffle d’espoir qui lui réchauffa le coeur.
Le jeune homme se releva d’un bond et s’avança jusqu’à son cheval.
– Bonne chance…, lâcha Mornar. Je n’aurai pas été d’une grande aide finalement.
Il se coucha sur le dos en oubliant la douleur, puis ferma les yeux, mais quelques secondes plus tard, une main lui souleva la tête ; celle d’Eldan, avec une étrange fiole entre les doigts, une sorte de crème liquide. Le jeune homme l’appliqua soigneusement sur la blessure, des deux côtés. L’effet du PurCiel fut instantanément visible, diminuant le saignement à vue d’œil.
Eldan ferma le flacon qu’il rangea avec soin dans son sac, puis pensa à sa mère qui venait de sauver la vie de son ami et ne put s’empêcher de la remercier à voix haute.
Mornar sentit aussitôt la douleur s’estomper, et eut la sensation que la blessure se refermait d’elle-même, pas à pas, mais resterait dangereuse si on ne la soignait pas.
− Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il avec étonnement.
− Du PurCiel, ma mère me l’a donné avant de partir. La plus ingénieuse des idées qu’elle ait eues…
− Elle aura mes prières quotidiennes.
Son visage avait repris quelques couleurs.
− Le PurCiel soigne tous les maux, m’a-t-elle dit, mais je ne sais pas pour combien de temps et dans quelles proportions.
Son ami tenta de se relever, mais fut pris de vertiges ; Eldan l’aida aussitôt.
− J’ai encore l’impression que mes boyaux vont sortir d’eux-mêmes, mais sinon, je crois que ça va mieux.
− Je prépare nos affaires et t’aiderai à monter sur Mandoline. Il faut partir au plus vite.
Sa jument semblait sentir la gravité de son état et s’agitait particulièrement. Eldan remarqua les marques sous son poil que la corde avait laissées ; les chevaux avaient énormément bougé durant l’affrontement.
Ils reprirent leur chemin sans attendre, le cerveau en ébullition, cherchant à s’éloigner au plus vite de ce carnage. Eldan n’avait pas de blessure grave à part un hématome sur la pommette gauche et regardait fréquemment Mornar recroquevillé sur son cheval, mais toujours vivant. Ses mains tremblaient autant que les siennes ; il venait de tuer un homme. Toute cette violence, ce sang, il n’y était pas habitué. La vie n’était jamais sans vagues, et à cette heure, elle ressemblait un fleuve déchaîné qui ne savait dans quel océan se jeter.
Il sentit aussitôt son estomac se crisper et dut se retenir pour ne pas vomir.
Eldan réfléchissait à l’étonnant pouvoir de son épée, qui venait de lui sauver la vie en empêchant quelqu’un d’autre que lui de s’en servir, quelqu’un qui devait pourtant avoir l’habitude de manipuler des armes. Il se demandait aussi pourquoi le glaive du Pillard avait volé en éclats, car la lame ne s’était pas simplement brisée en deux, elle avait littéralement explosé.
Son pouvoir était peut-être de loin supérieur à ce qu’ils avaient pensé.
Il réfléchit encore à la tournure soudaine qu’avait prise sa vie depuis sa rencontre avec le Huttlord et pensa au prochain qui allait revenir à Hatteron, espérant qu’il ne fasse aucun mal aux autres villageois en découvrant que leur butin n’y était plus.
Il avait laissé un message dans les décombres : J’ai pris l’épée. Ne perdez pas votre temps à Hatteron, personne ne connaît son existence.
Il espérait que cela suffirait pour que la créature quitte instantanément le hameau.
Mais l’espoir était mince. Très mince.