Melinir Tome 1 - Chapitre 35 - La source de l'énergie

Chapitre 35 – La source de l’énergie

En chacun de nous sommeille une force extraordinaire, encore faut-il acquérir les outils pour la déceler.

Notes personnelles – Elzear Semenral
Melinir Tome 1 - Chapitre 35 - La source de l'énergie

   Eldan avait hâte de commencer l’entraînement du lendemain, car maintenant qu’il pouvait soulager sa fatigue physique, il arrivait à apprécier l’enseignement d’Elzear. Le problème était que les bienfaits du Feu-Ardent diminuaient de jour en jour, et vu qu’il était constamment courbaturé, il ressentait sans arrêt le besoin d’en consommer davantage ; un cercle vicieux dont il ne pouvait se dépêtrer.

   Après s’être lavé, il retrouva Mornar et Lalya devant la maison.

   − Toujours rien d’anormal ? demanda-t-elle, apparemment soucieuse.

   − Rien, ne t’inquiète pas…

   Lalya continua de le mettre en garde durant une bonne dizaine de minutes en lui demandant de rester vigilant lorsqu’il passait du temps avec Elzear.

   Ils retournèrent à l’intérieur et tombèrent sur le maître, lisant un livre, confortablement installé dans un fauteuil. Lorsqu’Eldan prit la direction de sa chambre avec la ferme intention de s’administrer une bonne gorgée de Feu-Ardent, Elzear ne le quitta pas des yeux, lui offrant une nouvelle fois cette sensation si particulière d’être transpercé ; un peu comme il l’avait été face à Rha-Zorak.

   Il se réveilla le lendemain avec une irrémédiable envie de boire entièrement sa potion. Le problème était qu’il n’avait presque pas réussi à fermer l’œil de la nuit et qu’il était donc terriblement fatigué. Il se souvint alors de la mise en garde qui était écrite sur la fiole : Ne pas utiliser fréquemment, peut provoquer de graves troubles du sommeil. C’était à présent le cas, mais les bienfaits dont il profitait lui étaient indispensables, malgré les sacrifices qui en découlaient.

   Il retrouva ensuite Elzear pour son entraînement quotidien et répéta tous les exercices qu’il avait vus la veille, des dizaines et des dizaines de fois, avant de passer aux « frappes de l’ombre ».

   − Qui combats-tu ? demanda Elzear.

   − Un Pillard, répondit le jeune homme, concentré, en sentant toutefois son corps fatiguer plus que d’habitude. Il avait besoin de Feu-Ardent ; juste une gorgée… seulement la pause de midi était encore loin et il s’épuisait continuellement.

   Eldan constata qu’Elzear l’observait de plus en plus. Remarquait-il sa baisse de forme ? Car ce regard lourd d’intensité s’était encore une fois fondu en lui comme une coulée de mercure.

   La pause de midi arriva… enfin.

   Eldan tremblait presque et sentait qu’il devait combler ce vide au plus vite. Il se dirigea donc sans attendre dans sa chambre et but une gorgée de la précieuse potion. Il ressentit avec soulagement le liquide parcourir son corps ; l’effet fut instantané et apaisant.

   À ce moment, Elzear entra dans la chambre comme un ouragan. Eldan n’eut pas le temps de réagir lorsqu’il lui arracha la fiole des mains dans un mouvement éclair.

   − J’en étais sûr, dit-il après avoir lu la notice. Du Feu-Ardent, où as-tu trouvé ça ?

   − À Aquira, chez une sorcière.

   Elzear quitta subitement la chambre.

   − Attends ! Que fais-tu ! cria Eldan.

   Le maître sortit de la maison à grands pas et vida le contenu dans l’herbe.

   − NON ! cria Eldan. Cette potion était mon unique moyen de résister aux sévices que tu m’infliges du matin au soir !

   − Ton corps n’a pas besoin de cette rognure. Ta seule et véritable source d’énergie, tu l’as en toi. Ce poison te rend accroc, il t’aide temporairement, mais te rend dépendant et te détruit à petit feu. Je n’ai jamais vu quelqu’un en consommer modérément, me croyais-tu aveugle à ce point ? Chaque fois que tu sortais de ta chambre, tu étais remonté comme une pendule, j’aurais pu te demander de rejoindre Horp à la nage, tu l’aurais fait sans réfléchir. Certains sont morts à force d’en consommer. Maintenant, calme-toi, ressaisis-toi, prends une bonne pause. Ensuite, je t’apprendrai à maîtriser une ressource d’énergie qui bouillonne en toi et que tu as laissée bien trop longtemps de côté.

   La fenêtre s’ouvrit, découvrant Aména et son sourire réconfortant qui les invita à venir prendre le repas.

   − Je vous rejoins dans quelques instants, fit le maître, commencez sans moi.

   Désespéré, Eldan regarda la fiole vide dans les mains d’Elzear en sachant pertinemment qu’il allait jeter le récipient. Contrarié, il entra dans la maison et se dirigea vers la salle à manger, où il prit place avec dépit.

   Voyant la mine défaite du jeune homme, Aména s’approcha de lui.

   − Je connais trop bien Elzear pour savoir qu’il ne doit pas te mener la vie facile, dit-elle en lui posant une main sur l’épaule.

   − J’ai l’impression de m’épuiser sans relâche…, fit Haïdalir.

   − Je sais, l’inactivité est un terme qu’il ne connaît pas, continua-t-elle avec sérénité, la discipline physique et psychologique qu’il s’impose peut paraître infernale.

   − Je ne vais plus tenir longtemps, c’est trop intensif.

   − Ne désespère pas, nous avons tous des hauts et des bas. Le rythme de travail qu’il t’inflige est voulu, je t’assure qu’il contrôle ta progression.

   − Et j’ai perdu la seule chose qui me permettait de tenir le coup.

   Aména se releva, attacha ses cheveux en queue de cheval et partit en direction du potager. Elle enfila deux gants de cuisine, puis saisit un plat de ratatouille qu’elle déposa sur la table.

   − Tu sais, dit-elle, le ventre vide, j’ai tendance à broyer du noir. Se nourrir, c’est se donner de l’énergie.

   Elle s’avança près d’un meuble, puis ouvrit un placard.

   − Il y a toujours des casse-pains et des céréales ici. Prends-en pour les entraînements.

   − C’est gentil, dit Eldan.

   Une idée qui ne s’avérait pas si mauvaise, et qui ne pourrait que l’aider, car de toute manière, il devait apprendre à ne pas fléchir au moindre relâchement, sans quoi, il ne pourrait tout simplement pas accomplir ce pourquoi il s’entraînait aussi durement.

   Elzear arriva à l’instant et ils prirent le repas sans Mornar et Lalya qui passaient la journée à Sulleda.

   Eldan engloutit avec appétit la ratatouille qu’Aména avait préparée, ressentant toutefois un infranchissable vide en songeant qu’il n’aurait plus droit à une seule goutte de Feu-Ardent. De toute manière, le liquide n’était pas inépuisable, il aurait bien fallu s’en passer un jour ou l’autre.

   Un aboutissement inévitable.

   L’entraînement reprit.

   − Que signifie le chi, pour toi ? demanda le maître.

   − Merino m’a dit qu’il s’agissait d’un flux énergétique parcourant le corps, mais il peut être interprété de différentes manières.

   − On dit même qu’il est présent partout et relie les êtres vivants entre eux. Une légende raconte qu’un dragon est venu sur Melinir il y a des milliers d’années, et par son souffle, créa le chi, énergie vitale. Ce serait ainsi que par l’évolution, les premiers êtres vivants seraient apparus.

   Eldan écarquilla les yeux :

   − Un dragon aurait créé le chi ?!

   − C’est une légende. Dans tous les cas, le chi se sent et se canalyse. D’après mon analyse, il circule dans le sang, et se travaille principalement par des exercices de respiration qui vont te permettre de mieux comprendre le fonctionnement de ton métabolisme. Pourquoi as-tu plus de force dans certaines circonstances ? Pourquoi et quand te fatigues-tu ? Puises-tu ton énergie aux bons endroits ?

   Eldan le regarda d’un air songeur.

   − Je l’espère, dit-il à moitié convaincu que la maîtrise de son chi le substituerait des bienfaits du Feu-Ardent.

   − Positionne tes pieds à largeur d’épaules, garde le corps droit et relaxe-toi.

   Eldan s’exécuta ; Elzear continua :

   − Observe le mouvement. Concentre-toi sur la respiration, c’est la clé.

   Le maître plaça ses mains face à face devant lui, les bras légèrement fléchis, qu’il éleva très gentiment au-dessus de sa tête avant de les abaisser sur les côtés… Il pratiquait cet exercice dans une concentration communicante et donnait l’impression qu’il entrait dans une phase de méditation, comme s’il se repliait sur lui-même ; il exécutait des gestes lents, souples et fluides.

   La fluidité.

   C’était ça qui ressortait le plus.

   Eldan remarqua qu’il suait à grandes gouttes malgré le calme qu’il dégageait.

   − À toi, ferme les yeux, dit-il après être revenu d’un long voyage de compréhension. Inspire par le nez en élevant les bras, puis expire par la bouche lorsque tu les rabaisses. Imagine le chi pénétrer par tes doigts pendant ton inspiration, et regroupe la totalité de ce flux dans le bas de ton ventre : le centre énergétique du corps. Pendant l’expiration, imagine le ressortir par les mêmes portes.

   Eldan pratiqua l’exercice quelques fois, jusqu’à éprouver des picotements au bout des doigts. La fois suivante, c’est une chaleur qui l’envahit aux mains, avant de ressentir un courant d’air le parcourir de la tête aux pieds.

   − Bien, continue.

   Le maître lui montra trois exercices assez similaires dont la manière de respirer était la même ; seuls les mouvements différaient.

   Ils pratiquèrent ensuite les « mains collantes », une application de la garde où ils avaient les poignets en contact et effectuaient des demi-cercles de gauche à droite, le but étant de percer la défense de l’adversaire par des mouvements fluides ; cela développait la sensibilité, le sens du combat et justement le chi.

   Eldan fatiguait et commençait à trembler, car le manque de Feu-Ardent ne s’était malheureusement pas tari, mais il se concentra sur sa respiration qui devait lui apporter l’énergie nécessaire.

   Il commençait à discerner et à ressentir ce flux si mystérieux qui l’habitait et culminait à l’intérieur de lui. Il devait maintenant apprendre à l’utiliser, tant pour réussir à se ressourcer que pour combattre, en comprenant qu’il le développerait dans chaque mouvement du quotidien.

   Après être allé au-delà de ses ressources physiques, il mangea une branche de céréale pour se redonner un peu de force, il avait aussi appris à suivre les conseils d’Aména avec soin. Le jeune homme sentait qu’il avait peut-être changé sa manière de percevoir son corps, de respirer et de profiter des gestes du quotidien. Il se promit d’effectuer un exercice de respiration chaque soir dans son lit, une forme de travail complémentaire qui ne pourrait que l’aider à s’endormir.

   Après une petite promenade à cheval en fin de journée, il rentra pour se rendre dans la salle à manger où il reconnut une voix familière.

   − Salut, Eldan, dit Silève d’un sourire radieux, ça faisait longtemps ! Dis donc, tu as attrapé de sacrées épaules !

   La serveuse n’avait pas perdu un trait de son charme. Ses cheveux foncés d’un brun éclatant resplendissaient, et son regard accrocheur, qui avait toujours hypnotisé Mornar, rayonnait plus que d’ordinaire ; elle portait une longue robe brune faisant ressortir les somptueux contours de ses hanches.

   Eldan envia son ami, car le regard qu’ils portaient l’un envers l’autre était le même qu’il espérait un jour échanger avec Lalya. Il mit toutefois de l’ordre dans ses idées et se dit alors qu’il ne devait pas s’incomber d’une relation amoureuse. Son potentiel émotionnel devait être orienté vers sa tâche et son apprentissage, même si ce choix lui provoquait un déchirement au cœur. « Lalya », pensa-t-il en serrant les dents. Cette fille occupait l’intégralité de ses sentiments, comment pouvait-il laisser ça de côté ? Ou peut-être fallait-il simplement vivre le moment présent, comme Mornar.

   Il se remettait constamment en question.

   Il s’épargna d’une nouvelle torture cérébrale et s’assit à table pour respirer profondément ; il bénit Elzear de lui avoir appris à ressentir l’énergie vitale, qui arrivait à lui offrir une sérénité plus qu’inattendue.

   L’entraînement commença par une course à pied en guise d’échauffement, et continua par des frappes au sac qu’il pratiqua en respirant adéquatement, rendant ses coups plus rapides et considérablement plus puissants ; avec en prime une meilleure lucidité l’accompagner dans ses mouvements.

   − Bien, dit Elzear, qui pour une fois semblait satisfait.

   Haïdalir ressentait par moment un ancrage au sol si conséquent qu’il avait l’impression que ses pieds étaient littéralement enfoncés dans une tourbière. Cependant, il était encore loin du niveau d’Elzear qui le surpassait à tout point de vue.

   Ses coups de pieds étaient maintenant plus précis, plus secs, et étaient portés plus haut, tout en conservant un équilibre approprié. Les heures d’étirements commençaient aussi à payer, le jeune homme se souvenant à quel point Elzear insistait sur l’assouplissement des adducteurs ; car l’ouverture de la hanche, selon lui, était le secret de tous les coups de pied.

   Il sentait son corps se renforcer, s’unifier, se recentrer… à l’écoute de lui-même. La fatigue elle aussi ne le harcelait plus si assidument, comme s’il avait appris à récupérer instantanément.

   L’entraînement se termina à l’heure habituelle.

   − Je vois que tu commences à puiser ton énergie aux bons endroits, dit Elzear qui finissait de se rincer la figure.

   − J’en ai aussi l’impression, et je ressens mon corps différemment, mais pourquoi ne pas me l’avoir enseigné plus tôt ?

   − Tu n’étais pas conditionné, on apprend à marcher avant de courir.

   Eldan ôta sa tenue supérieure puis trempa ses mains dans la bassine, s’humecta le corps avec de l’eau froide, et se massa soigneusement les muscles, tendus à bloc.

   − Connais-tu Muil Y’Sanga ? l’interrogea le jeune homme.

   − Le grand maître du temple de Muil ?

   − Oui. Que penses-tu de sa pratique ?

   − Je la trouve correcte, respectueuse. Il traite le domaine avec un bon recul et une grande part de philosophie. Pourquoi me demandes-tu cela ?

   − Oh rien, nous l’avons rencontré lorsque nous te cherchions. Nous l’avons trouvé… intrigant.

   − Sa manière de pratiquer est orientée sur le développement interne, plutôt que sur le plan physique.

   − Et ne penses-tu pas que c’est mieux ?

   – Si cela lui correspond, ça l’est.

   – Personnellement, qu’en penses-tu ?

   − Je pense que l’idéal est de trouver le juste équilibre entre les deux.

   Le jeune homme termina sa toilette et lui fit une nouvelle remarque :

   − Les coutumes religieuses d’ici sont bien différentes des nôtres.

   − Au sud, beaucoup croient en l’existence de plusieurs dieux, fit Elzear. Martiar, Dieu de la Guerre. Loctal, Dieu des Océans. Amile, Déesse de l’Amour. Octaphol, Dieu du Ciel. Halbric, Dieu de la Terre. Et bien d’autres encore.

   − J’avais justement remarqué qu’il y avait de nombreux bâtiments religieux qui les représentaient, et beaucoup étaient inspirés d’animaux. C’est étrange, au Nord, nous n’en avons qu’un seul, que nous appelons Dieu, mais je n’y ai jamais porté un très grand intérêt.

   − Moi non plus.

   − Alors en quelle religion crois-tu ?

   − Aucune, répondit-il sèchement.

   − Tu ne crois en rien ?!

   Elzear se sécha, puis enfila son vêtement de soie avant de lui répondre :

   − Tu n’es pas le premier à me demander ceci. Ne pas croire en un dieu, esprit, ou je ne sais quoi d’autres que l’on ne voit jamais, ne signifie pas que l’on ne croit en rien.

   − Alors où se dirige ta foi ?

   − En ce qu’il y a au fond de moi. Je crois en cette maison dans laquelle se réfugier, la même que tu commences à découvrir. Je crois en mon développement personnel, en mon amélioration en tant qu’être humain. Voilà où se dirige ma foi.

   − La foi est une croyance en certains dieux.

   − Stupidités ! Je respecte ceux qui vouent corps et âme à une pratique religieuse, s’ils y trouvent la paix, mais pour moi, la foi est une sensation de réconfort, une présence en soi, une prise de conscience. À chacun sa manière de l’acquérir.

   Le maître s’avança vers Eldan et lui posa une main sur le cœur.

   − Peu importe la manière, continua-t-il. Tant que tu obtiens ce réconfort… c’est gagné. La mienne passe par un travail sur moi-même, mon développement et mon art constituent ma foi.

   Eldan hocha la tête, puis cogita sur le sujet.

   Le maître reprit :

   − Je ne t’incite pas faire de même, tu es libre de croire à ce qui te paraît juste.

   − C’est à nous de former notre voie, pourquoi s’obstiner à comprendre et à combler quelqu’un que nous ne voyons pas ? Alors que nous ne connaissons qu’une infime partie de nous-mêmes, une infime partie de nos capacités.

   Elzear laissa Eldan cogiter en se dirigeant vers le versant nord de sa propriété :

   − Je vois que nous avons le même point de vue.