Melinir Tome 1 - Chapitre 9 - L'ascension

Chapitre 9 – L’ascension

Hodraque : Rapace géant. Son bec muni de fines dents lui permet de dévorer facilement de la viande. Sa longueur moyenne est de dix mètres, et son envergure peut en atteint vingt-cinq, voire trente. Possédant quatre pattes, il est aussi agile sur terre qu’en l’air, bénéficiant ainsi d’une très grande mobilité. Les Hodraques servent Rha-Zorak depuis son ascension, bien que d’autres soient restés sauvages et vivent encore dans les montagnes.

Formes de vie – Encyclopédie du Savoir d’Aquira
Melinir Tome 1 - Chapitre 9 - L'ascension

   Ils se tenaient toujours auprès du feu, quelque peu étonné de la tournure qu’avait prise la soirée. Mornar regarda Eldan avec une pointe d’ironie :

   − Je crois que tu lui as tapé dans l’œil !

   − Tu crois ? s’exclama-t-il en riant.

   Il avait bien senti que l’animal était paniqué et que son approche, aussi curieuse fût-elle, se traduisait plus par un appel à l’aide que par une attaque. Le chemin s’était croisé entre une bête mourante et deux humains esquintés. Quoi qu’il en soit, le sang n’avait pas coulé et le Singal avait été sauvé. De plus, il n’avait utilisé qu’une partie infime de PurCiel pour le soigner, il n’y avait pratiquement pas eu de perte.

   Le réveil du lendemain ne leur offrit cette fois aucune surprise, ne serait-ce que la fraîcheur du temps.

   Ils mangèrent quelques fruits emportés de Hatteron, puis rangèrent leur couvre-lit. Sans attendre davantage, ils montèrent leurs chevaux respectifs et sortirent du Bosquet en direction de la Montagne du Soleil.

   Ils voyageaient en spéculant sur la journée d’hier, espérant ne pas retomber nez à nez avec d’autres Pillards ou malades y ressemblant, car Mornar n’y survivrait pas.

   Ils retrouvèrent les longues plaines verdoyantes du Nord qui aujourd’hui, étaient parsemées de douces couleurs jaunes. D’un œil retissant, ils observaient l’est avec appréhension, là où des Huttlords pouvaient surgir, sans compter les Pillards qui apparemment, appréciaient cette zone. Ils avaient maintenant une jolie panoplie d’ennemis qui leur en voulaient à mort.

   Heureusement, les prairies ondulantes étaient vides, et ils espéraient qu’elles le resteraient ; car ils ne pouvaient avancer aussi vite qu’au début du voyage, la blessure de Mornar les ralentissant considérablement.

   Les deux hommes longeaient le Lac Mélam par l’ouest, lequel leur offrait un magnifique paysage et semblait calme, voire mystérieux, comme s’il gardait ses secrets enfouis au plus profond de ses eaux. Les rayons du soleil étincelaient sur la fine membrane de ses flots.

   Malheureusement pour Mornar, ils étaient loin de toute civilisation, les deux villes les plus proches étaient Aquira et Elloros ; il ne pouvait donc pas recevoir de soins rapidement. Les autres villages se trouvaient au nord-ouest de la Montagne du Soleil ou l’est du Märi-Cärimar.

   Mornar souffrait encore cruellement, malgré les miracles du PurCiel. Car la blessure aurait dû le tuer en quelques heures, mais il tenait bon. Mandoline semblait sentir son mal et restait calme, ne lui portant aucune secousse, une attitude bienveillante qui laissait à nouveau ressortir sa noblesse de caractère.

   Ils longèrent la rive le restant de la journée. Eldan partait fréquemment en éclaireur pour s’assurer qu’ils n’auraient pas à se défendre une nouvelle fois, mais il ne vit alentour que de longues et interminables plaines, tant mieux. En plissant les yeux, le jeune homme discerna les contours de la Montagne du Soleil qui se lovait peu à peu dans l’obscurité d’une nuit naissante. Elle était encore à de nombreux kilomètres, mais sa formidable hauteur lui permettait de rester visible sur des lieues à la ronde, comme un phare en pleine mer.

   Ils décidèrent de s’arrêter au bord du lac, Eldan attacha sa toile contre un saule et un aune, alors que Mornar s’installa avec peine puis changea son pansement.

   Le jeune homme, affamé, l’avertit qu’il partirait une ou deux heures :

   − Je vais chercher du bois, et trouverai peut-être du gibier, donne-moi ton arc.

   Mornar s’exécuta aussitôt, et se sentit bien démuni sans son moyen de défense le plus efficace. Il avait toutefois emporté une petite dague comme arme de secours, contrairement à Eldan qui n’avait que son épée, même si elle était plus dangereuse que les deux siennes réunies. Car c’était lui qui d’habitude, s’occupait de cette tâche, mais les circonstances faisaient d’Eldan le nouveau chasseur attitré.

   Partant d’un bon pas, le jeune homme marcha une bonne heure en chargeant Flèche-Noire de tout le bois qu’il trouvait, et comprit avec dépit qu’ils n’auraient du feu que peu longtemps ce soir, car les branches étaient très rares et il n’avait croisé aucun bosquet conséquent, seulement des arbres isolés.

   Après avoir amassé un minimum de combustible, il repartit en direction du campement, contrarié de n’avoir pas trouvé de gibier, ni même vu la moindre bête. Le désert total.

   Il retrouva son ami adossé tranquillement auprès du saule où était attachée la toile. Il avait déjà confectionné un foyer, et regardait Eldan avec un étrange sourire.

   − Qu’est-ce qu’il y a ? demanda le jeune homme, qui s’assit à ses côtés d’un air dépité. Oui, je sais, je n’ai rien trouvé. Il nous faudra manger léger ce soir, nous atteindrons la Montagne du Soleil demain, sans contretemps.

   Mornar leva le menton, apparemment très satisfait :

   − L’infirme que je suis a mieux chassé que toi mon gars !

   Eldan le regarda avec une tête étonnée, et se demanda sérieusement s’il commençait à devenir fou.

   − D’accord, je n’ai pas fait grand-chose, ça doit être le Singal ! reprit Mornar. Regarde ce que j’ai trouvé en ouvrant mon sac.

   Il sortit un oiseau de la taille d’une poule.

   Eldan n’avait jamais vu une espèce pareille, son plumage était bleu et sa tête noir encre, avec un bec pointu d’une dizaine de centimètres.

   − Il a guéri étonnamment rapidement pour attraper ce piaf en pleine nuit, s’exclama son ami en regardant sa meurtrissure, qui elle, prenait plus de temps.

   − Nous pouvons déjà nous estimer heureux que tu sois encore en vie. Sans le PurCiel, tu serais mort.

   − Je sais…

   − Moi qui croyais que cette espèce était à éliminer.

   − Tu as raison, c’est étonnant… Bon ! Ce n’est pas tout, préparons-le à la broche !

   Un repas chaud. Ils ne demandaient rien de plus à cette heure.

   Eldan s’occupa du feu, tandis que son ami plumait le piaf. Ils fabriquèrent une broche qu’ils installèrent sur deux morceaux de noisetier fendus en deux, et surtout à bonne distance du foyer pour ne pas brûler.

   Au bout d’une heure, ils commencèrent à déguster ce qu’ils pouvaient considérer comme un festin. L’oiseau était délicieux et avait un goût exotique, sûrement dû aux épices piquantes que Mornar ne s’était pas gêné de déverser à foison sur la volaille qui rôtissait. Quelques fruits cueillis à Hatteron leur permirent de clore ce repas plus en douceur.

   Leurs ressources alimentaires s’épuisaient tout de même, il fallait atteindre Aquira dans les plus brefs délais. Ils le savaient. Mais ils ne se privèrent pas de savourer comme aimait le dire Mornar « une bonne pitance ».

   Mornar réveilla Eldan au petit matin.

   Pour effacer toute trace de leur présence, ils rangèrent très méthodiquement leur campement. Il ne devait absolument rien rester indiquant qu’ils étaient passés par là.

   Un grondement attira leur attention.

   Un bruit de galop à l’ouest.

   Ils tournèrent la tête et comprirent aussitôt de quoi il s’agissait.

   C’était un regroupement d’une centaine de cavaliers galopant à pleine vitesse. Ils étaient tous armés jusqu’aux dents, avec des casques composés de cornes, de dents ou de crânes, ce qui devait représenter des trophées de chasse ; ils étaient aussi vêtus de peaux de bisons, de loups, et d’autres fourrures qu’Eldan ne put reconnaître.

   Il s’agissait bien des Barbares du Nord ; ils avaient tous de longs cheveux crasseux, gris, bruns ou blonds, et beaucoup portaient une barbe épaisse de plusieurs mois.

   Leur description correspondait approximativement à ce qu’il avait pu lire, des clans de guerriers vivant entre la Forêt du Nord et la côte. Mais que faisaient-ils ici ? Car, ils avaient pour habitude de vivre repliés sur eux-mêmes.

   « C’est vraiment étrange », songea le jeune homme.

   − Ne bougeons plus, ils ne nous ont pas vus, remarqua Mornar d’une voix tendue.

   − Une tribu de Barbares se dirigeant vers le sud, je n’apprécie pas leur soudaine envie de découvrir le pays.

   − Je ne sais pas où ils se rendent, mais je n’ai pas envie de leur demander. Ils vont chasser, qui sait ?

   Eldan le regarda d’un air fatigué et Mornar comprit qu’il venait de parler sans réfléchir.

   − À cent et armés de la sorte ? Je ne pense pas. Tu connais aussi la réponse : Rha-Zorak. Melinir change, un dangereux cyclone se lève, crois-moi.

   − Tu as sûrement raison… tu sais combien d’hommes il a mobilisés ?

   − Je l’ignore, sûrement énormément. Personne ne le sait vraiment, certains ont vu des régiments entiers se rallier à lui, mais aucun de ses opposants ne s’est véritablement aventuré près de sa Forteresse.

   − Ça ne te démange pas de savoir ce qu’il est ou d’où il vient ? Un siècle qu’il est au pouvoir et il n’a pas pris une ride. Enfin, d’après ce qu’on dit, je ne l’ai jamais vu personnellement, mais mon père, lui, l’a aperçu à Horp, il y a vingt-cinq ans. Il m’a dit qu’en comparaison un Huttlord ressemblait un mannequin, et qu’il avait une peau noire, comme carbonisée, pas comme certains Nomades du Sud, mais plutôt comme un homme qu’on aurait jeté dans les flammes…

   − Certains disent qu’il vient de l’enfer, d’autres qu’il est un démon, mais personnellement, je ne crois aucun de ces deux baratins, continua Eldan. Il ne devait pas être bien différent de toi et moi avant de découvrir un pouvoir qui l’a sans doute consumé de l’intérieur… Enfin, ce n’est que mon opinion.

   − Cette histoire me fait froid dans le dos…

   − Bref, remettons-nous en route, les Barbares sont loin maintenant.

   Les deux hommes montèrent leurs chevaux et prirent le trot en espérant atteindre le pied de la montagne durant la journée.

   Le soleil était à présent au plus haut alors que le lac s’éloignait et leur objectif s’approchait à vue d’œil, le mont grandissant au fil de l’avancée des juments. C’était le plus haut sommet de Melinir, et une ville aussi grande qu’importante y résidait, construite il y a des milliers d’années comme symbole de l’ambition humaine.

   Après deux heures de route, ils atteignirent enfin le pied de la montagne, et observèrent avec appréhension le raide chemin qui restait à parcourir.

   L’ascension commençait.

   Ils prirent un sentier qui arpentait une colline et avançaient l’un derrière l’autre, car la largeur du chemin ne leur permettait pas de voyager côte à côte.

   Ils passèrent entre quelques rochers, puis atteignirent une épaisse forêt de pins et de mélèzes où le sentier y était tellement raide qu’ils durent descendre de leurs montures pour continuer, un préjudice ne plaisant pas à Mornar qui sentait sa blessure se manifester de plus belle.

   − Faisons une pause, s’exclama-t-il, une main sur sa plaie. Ça brûle, j’ai l’impression que mon ventre va s’ouvrir en deux !

   Il grimaçait de douleur, c’était rare de le voir souffrir pareillement.

   − D’accord, je vais attacher les juments, va t’asseoir.

   − Merci.

   Eldan s’exécuta et s’assit à côté de son ami.

   − Demain, nous arriverons à Aquira si tout se passe bien, ne t’inquiète pas pour ta blessure, lui dit-il avec certitude.

   − Tant mieux… j’ai vraiment besoin de repos, mon corps rejette tout effort physique.

   Il prit une grande inspiration avant de poursuivre :

   − Tu comptes trouver Merino tout de suite lorsque nous arriverons ?

   − Je vais d’abord m’assurer que tu obtiennes des soins, et un lit. Une vie humaine a tout de même un peu plus d’importance à mes yeux qu’un morceau de métal.

   − Content que tu ne me laisses pas tomber… Moi qui voulais t’aider, je ne fais finalement que de te ralentir.

   − Tais-toi ! Tu crois sérieusement que j’aurais tenu le coup tout seul face à ces trois Pillards ? Tu m’as sauvé la vie, à moi d’en faire de même.

   Après une brève pause, ils reprirent l’ascension du mont et voyagèrent tant bien que mal jusqu’à l’intérieur d’une épaisse forêt où un nouveau sentier sinueux ne permit plus aux deux cavaliers de poursuivre à cheval.

   Mornar grimaça et serra les dents, son corps lui criant d’arrêter, mais il devait tenir jusqu’au sommet. Il put heureusement remonter sur Mandoline après avoir gagné une petite plaine d’herbe longue et souple, agréable au toucher. Au milieu de la clairière se dressaient un somptueux saule blanc et une habitation de pierre apparemment désertée depuis plusieurs années.

   Ils prirent ensuite un chemin escarpé le long d’une abrupte pente où Mornar jura lorsqu’il dut à nouveau descendre de Mandoline. Eldan l’aida avant qu’il n’ait insulté l’entière lignée du Pillard qui lui avait transpercé le ventre, et remarqua qu’il souffrait de plus en plus. Il vit que la tache rougeâtre de son sang s’était encore étendue sur son pansement, et que son teint était devenu très pâle, mais qu’il s’accrochait férocement pour ne pas craquer.

   Chaque étape était plus dure que la précédente.

   Le soir approchait, ils avaient à présent gravi la moitié de la montagne et par chance, Mornar n’avait plus eu à descendre de Mandoline.

   Épuisés tous deux, ils décidèrent de poser un campement dans une petite cavité rocheuse en lisière de forêt et mangèrent le reste de leurs provisions en laissant un morceau de casse-pain pour la journée du lendemain.

   Il était temps d’arriver à destination.

   La nuit fut fraîche, mais fit un grand bien à Mornar. Ils se réveillèrent au matin avec une solide motivation pour commencer leur dernière journée de voyage.

   Ils progressèrent jusqu’à la lisière d’épais massifs rocheux où le paysage y était magnifique, avec de longs rocs escarpés qui s’étendaient sur de nombreux kilomètres. Eldan n’hésita pas à puiser de l’eau dans un ruisselet clair qui dévalait la pente ; il remplit sa gourde et en fit boire à Mornar.

   Leurs chevaux, crispés par le chemin rocailleux et difficilement praticable, passaient des fois plusieurs minutes à franchir des côtes particulièrement effilées.

   Ils pénétrèrent dans un couloir où de nombreux lézards se laissaient apercevoir grimpant par-ci, par-là, et dans lequel leurs juments faillirent dégringoler ; mais fort heureusement, ce dévers ne fut pas long à traverser pour arriver sur un versant plus accessible.

   C’est à ce moment qu’Eldan sentit une ombre les envelopper ; on les observait depuis le ciel. Il leva la tête, mais ne vit rien d’autre que des nuages balayés par le vent.

   Un glapissement strident résonna dans la vallée, ce qui déplut à Mornar qui le regarda d’un œil inquiet.

   − Un aigle, le rassura Eldan.

   Mais au fond, il savait que ce glapissement aigu ressemblait davantage à celui d’un Hodraque qu’à celui d’un aigle.

   La résonnance était bien trop puissante.

   Ils continuèrent leur percée au milieu de fins galets où les rochers devenaient plus grands, mais moins nombreux.

   En bordure de falaise, Eldan distingua de nombreux nids mesurant dix bons mètres de diamètre, construits dans des cavités à l’aide de paille et de branchages. Il savait sans hésitation qu’ils traversaient un repère d’Hodraques et n’en parla pas à Mornar qui n’avait encore rien vu, trop diminué par sa blessure.

   Un autre glapissement retentit, nettement plus fort. Eldan fit mine de rien, mais resta aux aguets, car ils atteindraient bientôt une épaisse forêt de sapins et de douglas où ils seraient en sécurité.

   Un troisième glapissement éclata au dessus d’eux. Eldan leva la tête et vit ce qu’il redoutait depuis le début.

   Un Hodraque qui volait en cercle au dessus d’eux comme un faucon pistant sa proie, ses ailes brassant de l’air avec puissance. Il baissa la tête en direction de ses deux nouvelles cibles en sachant qu’il n’aurait aucune difficulté à saisir les deux voyageurs, ses serres les déchiquetteraient aussi facilement qu’une feuille de papier.

   − Un Hodraque ! Descends immédiatement de Mandoline ! lui cria Eldan qui venait de sauter de son cheval.

   Son ami s’exécuta aussi rapidement qu’il le put, mais son ventre lui donna l’impression qu’il allait s’ouvrir en deux, et il dut réunir toute sa concentration pour ne pas s’écrouler, car il fallait se cacher au plus vite pour ne pas se faire cueillir comme des champignons.

   Il leur était tout bonnement impossible d’avancer rapidement en chevauchant sur ce terrain trop irrégulier. Sur leur droite, une cavité rocheuse laissait tout juste la place à leur jument de s’y engouffrer. La même expression de peur grandissait dans leur regard au fur et à mesure que les battements d’ailes se rapprochaient.

   Mornar sortit son arc, et encocha aussitôt une flèche, guettant le moindre mouvement, et Eldan dégaina son épée, espérant ne pas devoir s’en servir.

   Un espoir de courte durée.

   L’Hodraque se posa en souplesse à moins de vingt mètres devant eux.

   L’oiseau tourna la tête en leur direction avec un regard perçant qui se transforma immédiatement en flammes brûlantes ; il avait trouvé ses proies. Il poussa un cri aigu, agressif, puis enfonça ses serres au sol.

   À l’aide de de puissantes foulées, il se mit en course vers son gibier. Mornar tira une flèche qui lui ricocha sur le torse, mais, n’ayant apparemment rien senti, l’animal accéléra en direction des deux hommes qui durent sortir de leur cachette pour l’affronter.

   Ils n’avaient plus le choix maintenant, ils ne pouvaient lui échapper, sachant pertinemment qu’ils ne tiendraient pas une seconde en face d’une telle créature.

   L’Hodraque ouvrit grand son bec pour glapir plus férocement, divulguant une belle panoplie de dents plus acérées les unes que les autres.

   Mornar, qui avançait comme il le pouvait, tira une nouvelle flèche sur l’oiseau, qui ne sentait apparemment rien et se rapprochait dangereusement : dix mètres, huit mètres, cinq mètres.

   Trois mètres.

   Le rapace déploya ses ailes et bondit, souhaitant les plaquer au sol pour les réduire en charpies, mais Eldan s’y était préparé en pointant sa lame sous sa gorge, et eut en retour l’effet espéré : l’Hodraque stoppa immédiatement sa course dans un élan de panique et recula en poussant des glapissements stridents.

   Il volait à reculon en jetant des coups de serres à tout-va, gardant une distance de sécurité avec le jeune homme qui dirigeait à présent l’affrontement. L’Hodraque n’avait visiblement plus le courage d’avancer contre eux.

   Il le regarda une dernière fois, puis s’envola.

   Le jeune homme ne le lâcha pas du regard avant de le voir disparaître derrière de hautes falaises.

   – Il a réagi comme le Singal, dit-il.

   Mornar s’assit en grimaçant :

   − Apparemment, les animaux en ont une peur bleue.

   − Je me demande ce que cette épée renferme réellement.

   − Tu penses que ce maudit pigeon pourrait indiquer notre position à Rha-Zorak ?

   − Non, celui-là est sauvage. J’ai repéré de nombreux nids sur la route. Restons sur nos gardes.

   Les sens toujours en alerte, les deux jeunes hommes reprirent l’ascension en montant leurs chevaux, qui eux aussi semblaient méfiants de l’environnement.

   La montée devenait de plus en plus raide, et ils commençaient à ressentir le poids des jours, des repas trop légers, des affrontements et de la peur ; aucun des deux n’était habitué à un tel rythme de vie.

   Tremblant, Eldan réfléchit longuement aux différentes confrontations qu’il avait eues depuis son départ, et cette aversion de la mort survint brusquement en lui, lui ravivant de douloureux souvenirs. Il sentit à nouveau cette remontée amère, ce dégoût qui le submergeait depuis ses affrontements sanglants contre le Huttlord et les Pillards, comme une boule d’angoisse qui lui rongeait l’estomac.

   Ils reprirent la route, méfiants, fatigués, épuisés, mais ne virent pas d’autres Hodraques durant la traversée de la Vallée de Pierre, car c’est ainsi qu’elle se nommait. Ils pénétrèrent ensuite dans l’épaisse forêt qu’ils rêvaient d’atteindre quelques minutes plus tôt puis foulèrent un sol boueux.

   Ils en sortirent avec les rayons du soleil dans une petite prairie d’herbe pâle, où un long chemin de montagne étroit d’un mètre à peine les guida vers de nouvelles falaises plus dangereuses qu’avant, car un précipice se tenait à quelques pas du sentier. Ils pouvaient toutefois y admirer l’impressionnante étendue des Plaines du Nord : la vue était spectaculaire, mais le vent soufflait violemment à cette altitude.

   Le sentier se termina au milieu d’un monticule boisé qu’ils gravirent sans difficulté pour gagner une piste de copeaux qui se perdait entre de nombreux pins.

   Le sommet était proche.

   Ce passage plus aisé laissa le temps aux jeunes hommes d’apprécier le sublime spectacle que leur offrait la nature, comme si elle tentait de contraster avec leur état déplorable. Ils étaient à présent très hauts et le peu de route qu’il leur restait à parcourir semblait interminable, car ils étaient à bout de force et la faim leur cramponnait le ventre avec la ferveur d’un félin agrippant sa proie.

   Cette douloureuse sensation les accompagna jusqu’à un plateau qui constituait la base d’une chaussée raide qui menait au sommet. Un rempart apparaissait au loin.

   Le rempart d’Aquira.

   Las et fatigués, ils se lancèrent dans leur ultime avancée. Interminable. Tant ils rêvaient d’arriver à destination, et surtout de se sentir en sécurité. Ils atteignirent la longue porte de fer, mais deux gardes s’interposèrent devant eux, Eldan leur expliqua donc qu’ils souhaitent séjourner en ville et que son ami était grièvement blessé ; ils devaient trouver des soins au plus vite.

   D’un signe de tête, les deux soldats s’écartèrent en voyant qu’il ne s’agissait que de simples voyageurs fatigués.

   Eldan et Mornar entrèrent enfin dans Aquira.