Melinir Tome 1 - Chapitre 20 - La fin de Mirlion

Chapitre 20 – La fin de Mirlion

Hassamdaï : Mi-homme, mi-serpent. Pourvue d’une morphologie humaine et d’une peau reptilienne, sa tête, semblable au cobra, lui permet d’intimider facilement ses proies et ses adversaires. Une seule de ses morsures tue un être humain en quelques secondes. Actuellement, un nombre restreint vit encore au cœur du Désert Bruet, mais la plupart résident à Fort Rha-Zorak.

Formes de vie – Encyclopédie du Savoir d’Aquira
Melinir Tome 1 - Chapitre 20 - La fin de Mirlion

   Lalya se réveilla en pleine nuit, elle avait du mal à dormir, peut-être était-ce le cadavre de Nordal qui la hantait… Elle s’assit un instant pour reprendre ses esprits, puis regarda le feu, presque éteint.

   Sentant le froid l’envahir, elle l’attisa en y lançant discrètement quelques morceaux de bois. Les flammes reprirent quelque peu malgré la fraîcheur de cette nuit agitée qui l’avait déjà réveillé plusieurs fois.

   Elle se replongea sous sa couverture, savourant la chaleur qu’Eldan lui procurait.

   Mais depuis leur arrivée, une autre chose l’inquiétait, cette ancienne habitation abondait d’un passé lourd de souvenirs. Elle pressentait une vision issue d’une horreur difficilement descriptible.

   Peut-être était-ce pour en connaître davantage sur la fin de Mirlion qu’elle avait voulu rester dans un endroit aussi sinistre ? Elle-même ne savait pas.

   C’est en se questionnant sur l’étrange sensation qui s’emparait d’elle depuis qu’ils avaient pénétré dans cette maison qu’elle sentit son esprit se faire aspirer comme dans un tourbillon.

   Sa vue ne se porta plus à ses yeux, mais plus loin dans le temps, des années en arrière. Elle se sentit noyée dans une atmosphère pesante de souvenirs, et se laissa submerger par des images survenues d’un lointain passé…

   Il y avait une femme. Elle nettoyait, dépoussiérait nerveusement une table ; elle devait s’occuper, car son époux faisait les cent pas d’un bout à l’autre de la pièce en sachant qu’il paierait bientôt les conséquences de ses actes.

   Lalya reconnut la maison dans laquelle ils dormaient, qui, belle et habitée, semblait bien différente.

   L’homme marchait sans s’arrêter, réfléchissant aux possibles solutions qui s’offraient à lui, et surtout aux courageux volontaires qu’il avait perdus…

   Il se sentait seul.

   Il ne savait pas s’il devait quitter Mirlion pour sauver sa peau ou rester et assumer ses erreurs, mais lorsqu’il regarda sa femme, sa décision devenait évidente. Il ne pouvait l’abandonner.

   Elle croisa le regard de son époux, elle était manifestement aussi angoissée que lui. Elle l’aimait tellement, mais avait peur de ce qui arriverait ensuite, du sort qui les attendait. Elle n’avait jamais été d’accord avec le projet que son mari avait mis sur pieds depuis plus d’une année, un projet qui aurait pu changer Melinir, mais qui avait malheureusement échoué.

   Pourquoi n’était-il pas resté tout simplement avec elle ? À éviter les arrivées incessantes de Huttlords et soldats de Rha-Zorak ; mais voilà, le problème était là, ces abominations utilisaient Mirlion comme un terrain de jeux, pillant et violant les femmes qui avaient le malheur de s’aventurer dehors trop tard le soir. Une vie que la plupart des habitants ne pouvaient plus supporter, et qui les avait rendus terrifiés et prêts à tout pour la changer.

   De puissantes foulées se firent entendre à l’entrée de Mirlion.

   Une troupe arrivait.

   La femme fut vite alertée et s’avança précipitamment près de la fenêtre ; ce qu’elle vit lui arracha le coeur.

   Rha-Zorak lui-même s’était déplacé, monté sur un cheval sombre particulièrement haut au garrot, avec une vingtaine de Huttlords qui le suivait en formation, à quelques mètres derrière lui.

   Deux guerriers se tenaient à ses côtés − les plus affûtés de tous.

   Les Hassamdaïs.

   Fiers et droits, ils portaient une fine armure noire qui leur montait jusqu’à la base du cou, d’où ressortaient les membranes visqueuses d’une coiffe qui flottait en une ondulation fluide.

   C’était la première fois qu’elle les voyait, et c’est avec un certain effroi qu’elle constata qu’ils avaient réellement une tête de serpent, ou plutôt de cobra, avec une langue fourchue qui claquait entre leurs dents.

   Leur manière de bouger était plus précise, plus nette, plus dangereuse que tout ce qu’elle avait déjà vu, comme si chacun de leurs gestes était fait pour ôter la vie. Les Huttlords les redoutaient et les considéraient comme étant des combattants hors pair, dotés d’une rapidité inégalable.

   Mais elle savait que quelqu’un de bien plus dangereux encore avançait devant eux.

   Rha-Zorak.

   Il avait revêtu une armure grise, brillante, recouvrant ses deux mètres de haut, avec un grand médaillon attaché au-devant de son plastron, et une cape sombre qui flottait dans le vent. Sa peau était noire, bien différente de celle des Huttlords qui était granuleuse, ou celle des Nomades, qui était d’une autre pigmentation ; la sienne était lisse, et semblait calcinée.

   Son visage offrait une impression de rigidité, de calme inquiétant, avec une peau qui lui collait sur les os et un nez raboté, comme si son cartilage avait disparu. Ses yeux, grands ouverts abritaient une petite pupille obscure sondant placidement l’agitation qui s’était installée depuis son arrivée.

   Il portait un heaume noir que lui avaient confectionné les Hassamdaïs, avec une coiffe métallique qui lui recouvrait la nuque.

   Mais le plus perturbant était sa respiration : rauque, bruyante, étouffante, dérangeante… Comme celle d’un mourant qui régurgitait ses derniers souffles.

   L’Éternel s’arrêta au milieu du village où tous les habitants s’étaient écartés, puis descendit de son cheval et s’avança de quelques mètres en lançant des regards acerbes.

   Il se raidit soudainement.

   − Où es-tu Dervin ? demanda-t-il d’une voix calme et caverneuse.

   Ses mots résonnèrent dans Mirlion dans une profonde répulsion.

   − Je répète… Montre-toi Dervin.

   Son visage squelettique s’assombrit jusqu’à devenir aussi écrasant qu’une tête de mort, comme si une ombre s’était étendue sur le hameau.

   − Dervin, ne me fais pas attendre…

   Sa voix s’était montrée glaciale, aussi perçante qu’une lame en plein cœur, et sa respiration accéléra lorsqu’il scruta les maisons une à une.

   Il attendait.

   Jusqu’à ce que le hameau soit plongé dans un silence accablant, un mutisme lui indiquant qu’il pouvait passer à l’action. D’un bond aussi puissant que surprenant, il s’élança vers une femme qui s’était réfugiée sous un avant-toit ; il fondit sur elle comme un rapace sur sa proie.

   Il la saisit par la taille et la guida jusqu’au centre du village, près de sa troupe, avant de lui caresser tendrement la joue :

   – Comment t’appelles-tu ?

   – M… Melia.

   – Un très joli prénom. Viens dans mes bras, Melia, dit-il en pesant chacun de ses mots.

   Elle le regarda d’un air pétrifié, mais savait qu’elle ne pouvait de toute façon pas lui désobéir. Elle s’exécuta donc en s’approchant et en se collant dos à lui, puis sentit ses bras la recouvrir dans une douce étreinte.

   – Ton parfum est exquis…, remarqua-t-il. Un mélange de vanille et de rose sauvage, non ?

   – O… oui, c’est ça, répondit-elle en sanglotant, avant de s’évanouir.

   – Ne t’en va pas maintenant…

   Il la retint par le menton, puis dégaina son épée qu’il appliqua très délicatement sous sa gorge.

   − Tu ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose de désobligeant Dervin ? Joins-toi à moi.

   Un homme surgit de l’ombre, sortant de sa maison.

   Décidant qu’il devait faire face au tyran, Dervin prit une grande inspiration, regarda une dernière fois sa femme – qui avait l’air sur le point de s’effondrer –, puis s’avança vers sa mise à mort ; une larme coulant le long de sa joue.

   Rha-Zorak marcha dans sa direction après avoir relâché Melia qui s’était écroulée par terre.

   − Alors c’est toi, dit l’Éternel. Toi qui t’es introduit dans mon fort.

   – Tuez-moi, qu’on en finisse, mais épargnez les autres, ils n’ont pas à subir mes erreurs.

   Rha-Zorak avança encore d’un pas, calmement :

   − Un manque de volonté flagrant et une certaine absence d’organisation sont les deux facteurs qui riment le plus avec l’échec. La volonté, crois-moi est la plus grande carence de l’être humain, et c’est ce qui t’a fait le plus défaut.

   « Tes hommes sont tous morts dans ma forteresse. Tu le sais ? Voyons… croyais-tu un seul instant pouvoir m’atteindre ? Croyais-tu pouvoir franchir mes murs ? Il t’aurait fallu prévoir des solutions bien plus élaborées que celles que tu as mises à exécution. C’est regrettable, car finalement, la seule chose que tu as pleinement réussi à faire est de fuir en laissant tous tes volontaires mourir pour toi.

   Dervin avançait toujours, tête baissée, alors que le village entier les observait, et remarqua que Melia n’avait toujours pas repris connaissance.

   Il se retrouva face à Rha-Zorak qui le surplombait de ses deux mètres.

   − Je ne suis pas aussi égoïste que peuvent le prétendre certaines mauvaises langues. Pour prouver ma bonne foi, je vais même t’aider à terminer ton projet. C’est bien triste que tu aies perdu tant de bons hommes pour te retrouver face à moi, comme nous trouvons à l’instant, mais je vais te laisser une deuxième chance vois-tu, car j’ai tout de même un peu d’estime pour ce que tu as entrepris. C’est un projet qui a dû te prendre beaucoup de temps, et au final, très peu de considération.

   Les Huttlords éclatèrent de rire, faisant onduler leur immonde bouche, alors que les Hassamdaïs n’avaient pas bougé d’un cil, demeurant immobiles, inexpressifs, prêts à tuer ; aussi calmes que des serpents avant de bondir.

   − Je t’offre mon épée, continua Rha-Zorak. Prends-la, et considère-la comme une dernière chance, fais ce pour quoi tu souhaitais venir jusqu’à moi.

   Dervin resta figé de stupeur lorsqu’il lui tendit son unique arme, puis l’empoigna sans quitter son adversaire des yeux, plongé dans une certaine incompréhension.

   Rha-Zorak leva les bras et attendit que son opposant passe à l’action.

   Dervin mania l’épée avec habileté et enfonça la lame en plein cœur du tyran, transperçant sa cuirasse, avant de relâcher le manche en reculant, car Rha-Zorak n’avait pas bronché. Comment était-ce possible ?

   − Satisfait ?

   D’un mouvement fluide, il retira son épée aussi facilement que s’il l’extrayait de son fourreau ; sans expression ni douleur.

   La femme de Dervin, toujours cachée dans sa maison, sortit en courant avec des larmes de rage qui lui coulaient en bas les joues, sachant pertinemment ce qui allait se passer.

   Rha-Zorak décapita Dervin d’une rapidité foudroyante.

   Elle continua sa course vers son mari en séchant ses larmes d’un revers de bras, arriva devant son corps, puis se pencha pour le toucher une dernière fois, et folle de rage, se releva avant de regarder Rha-Zorak droit dans les yeux.

   Sa haine lui avait ôté toute peur :

   − Vous n’avez aucun mérite, aucun courage… Vous me faites pitié. Aucune personne sensée n’aura l’intelligence de se joindre à vous…

   − Épargne-moi tes sarcasmes puérils si tu ne veux pas le rejoindre.

   Elle ignora son avertissement :

   − Votre pouvoir est basé sur la peur, et je vois qu’elle vous habite pleinement. Ce pouvoir, vous avez peur de le perdre. Quelqu’un vous a fait face et voulait vous faire tomber, et cela vous a effrayé si froidement que vous avez dû venir avec deux précieux Hassamdaïs et un attroupement de Huttlords. Vous êtes dégoûtant ! Vous parlez de courage ?! Vous n’en avez aucun !

   Rha-Zorak avait écouté chaque mot sans broncher. Mais cette vipère lui avait déclenché une haine qu’il ne pouvait contrôler, une haine qui l’envahissait jusqu’à le rendre malade, jusqu’à rendre sa respiration inaudible, bourdonnante, sur le point de s’arrêter ou d’exploser.

   Il la regarda dans les yeux.

   Jamais la femme n’avait vu une telle intensité, une telle violence profondément enfouie.

   Le Seigneur du Désert s’avança lentement vers sa prochaine victime, et la saisit par la gorge, bras tendu, pour la soulever jusqu’à ce que leurs têtes soient au même niveau. Ses jambes gesticulaient inutilement, comme son corps qui luttait vainement contre la strangulation.

   Elle cracha au visage de l’Éternel puis sourit, avant d’avoir un spasme effrayant. Rha-Zorak resserra sa prise alors que le visage de la femme devenait rouge, puis violacé, jusqu’à voir ses yeux se révulser et ses jambes remuer de moins en moins vite, pour s’arrêter, inertes.

   La vie avait déjà abandonné le corps qu’il maintenait à bout de bras et pourtant, il continuait de lui écraser le cou jusqu’à ce que ses doigts baignent dans une bouillie pourpre. Une sensation visqueuse qui se répandit le long de son bras et qui lui indiqua que le châtiment était maintenant acceptable ; il la jeta à quelques mètres, comme un vulgaire morceau de viande.

   Il regarda ses guerriers :

   − Brûlez tout. Chaque maison, chaque parcelle de terre. Enfermez hommes, femmes et enfants chez eux. Je ne veux plus âme qui vive à Mirlion. Tuez tous ceux qui en ressortent.

   Un Huttlord s’avança, hésitant :

   − Seigneur, vous ne souhaitiez que la mort de Dervin…

   Il s’avança près du Huttlord et posa une main maculée de sang sur son épaule.

   − Ce sang, dit-il d’un air résigné. Il empeste la trahison et la folie.

   Il lui saisit le coup :

   – Si tu ne veux pas que le tien se mélange à celui-ci, ne conteste plus jamais un de mes ordres sur le terrain.

   – C’est la dernière fois, mon Seigneur.

   Rha-Zorak se tourna vers le reste de sa troupe, avec une voix froide et sifflante :

   – Je ne tolère pas que quiconque puisse vivre ici, ni qu’ils puissent engendrer des descendants ressemblant à cette vipère ou à ce lâche. Cette terre est désormais condamnée…

   Huttlords et Hassamdaïs se mirent à la tâche, aussi abominable qu’elle leur parût.

   Rha-Zorak toucha son médaillon, et puisa à nouveau dans son interminable pouvoir, plus loin qu’il ne l’avait jamais fait : un cataclysme se préparait. Un regard vers le ciel l’informa que des nuages noirs se formaient, annonçant une tempête qui persisterait durant des années et qui purifierait ce lieu de félonie.

   Un vent virulent se leva, alors que Mirlion s’avançait à sa perte.