Melinir Tome 1 - Chapitre 28 - Le maître

Chapitre 28 – Le maître

Qui es-tu grand détenteur, pour pouvoir fendre le monde d’un coup de marteau ?
Pour pouvoir abaisser les armes sans verser les larmes ?
Sans resserrer ton étau.
Ô silencieux fantassin de la lumière.
Mais qui es-tu, grand détenteur, pour pouvoir fendre le monde d’un coup de marteau ?

Genèse –  Recueil des Dix Maîtres
Melinir Tome 1 - Chapitre 28 - Le maître

   Après le long débat, ils reprirent le chemin en direction de la maison d’Elzear, avec des têtes d’enterrement et un silence latent qui grandissait entre eux.

   Elzear en profita pour ajouter :

   − Notre maison est grande, nous avons quelques chambres vides, et nous serions heureux de vous accueillir pour la nuit.

   − Pourquoi pas…, dit Eldan d’un air dépité.

   − Encore une fois, je comprends votre déception, et j’en suis navré, mais je ne peux rien y faire. Toutefois, je peux vous offrir un toit pour la durée de votre séjour.

   − Merci, dit Lalya. Nous acceptons volontiers… Quand j’y pense, nous avons fait tout ce voyage pour rien…

   − Aucun voyage n’est inutile. Ne vous en faites pas, vous serez ici en sécurité. Mon aide vous sera à disposition si vous avez des questions, et je pourrai préparer Eldan à endosser ses fonctions.

   Il les scruta intensément, puis dit :

   ­− Encore une chose, tutoyez-moi.

   Eldan, Mornar et Lalya étaient déstabilisés, fatigués et ne refuseraient pas une nouvelle nuit de répit.

   Les trois amis se retrouvèrent devant la maison et décidèrent de marcher un peu.

   Lalya s’avança vers Eldan, lui posa une main sur l’épaule et le regarda tendrement. Le jeune homme ressentit sa compassion avec autant de ferveur que si elle lui avait sauté dans les bras, car chacun d’eux savait maintenant que plus personne ne pouvait le dispenser de ses obligations.

   Bien qu’il se sentît mal, le regard réconfortant de Lalya lui remonta quelque peu le moral.

   Ils continuèrent à marcher et s’arrêtèrent près d’un petit rocher qui leur offrait une magnifique vue sur Sulleda, puis s’assirent pour profiter du spectacle.

   − On va se le faire…, dit Mornar.

   − Quoi ? demanda Eldan.

   − Rha-Zorak, on va se le faire.

   Malgré son humeur, Eldan ne put s’empêcher de sourire ; tout semblait possible pour son ami.

   − On va y arriver, dit Lalya. Nous trouverons la meilleure école d’arts martiaux. Le meilleur maître qui te formera, et t’apprendra à utiliser la totalité de ton potentiel. Nous trouverons son point faible et ton point fort, afin que tu sois prêt à l’affronter.

   − Alors retrouvons Alheam Nithril, dit Mornar.

   − Ce serait une avance considérable, acquiesça Lalya. Le problème est que personne ne sait où il réside et il serait inutile de le rechercher à travers tout Melinir, pour rien, comme ce que nous venons de faire.

   − Nous devrons tout de même essayer, ajouta Eldan.

   Il remarqua que Lalya culpabilisait, car le long voyage qu’ils avaient enduré avait été amorcé par sa vision à Aquira.

   − Il est réputé imbattable, fit Mornar. Il s’agit probablement d’un Haïdalir.

   − Peut-être, de toute manière, tant qu’il reste dans l’ombre, la tâche m’appartient. Je crois que… je dois arrêter de me défiler et affronter mes obligations. Seulement, si j’échoue, que fera Rha-Zorak ? Mais si je ne fais rien, Melinir se transformera en une terre épuisée de ses ressources. Le peuple Nomade nous l’a dit, son armée n’est pas la menace la plus pesante, il s’agit de son lien avec notre terre qui risque de tous nous détruire. Et il ne s’en rend pas compte.

   Le désespoir se lut sur le visage de ses deux compagnons de route.

   Eldan ajouta :

   − Peut-être pouvons-nous lui faire entendre raison ?

   − Et comment ? fit Mornar, tu veux débarquer aux portes de sa forteresse et lui demander avec un sourire béat de se débarrasser de son médaillon ? La source de son pouvoir ? C’est comme enlever un os à chien, jamais il ne s’en séparera. Si nous voulons mettre fin à sa menace, nous devrons en venir à bout ! Je ne sais pas encore comment Eldan, mais tu devras lui enfoncer Zaor si profondément dans les entrailles qu’il en restera cloué au mur, et tu auras besoin de nous pour le faire.

   Eldan les regarda avec gratitude :

   − Merci d’avoir été là pour moi depuis le début. Vous ne m’avez jamais laissé tomber.

   − Oh, ça peut arriver, dit son ami d’un air narquois, si tu deviens trop épuisant.

   Eldan lui donna une tape sur l’épaule :

   − J’y penserai.

   − Oh, je l’espère, parce que…

   Mais il fut coupé par une pive qu’il reçut dans le ventre. Eldan tourna la tête et vit Lalya qui se préparait à en jeter d’autres − avec un sourire de coin. Puis Mornar riposta à son tour par deux pives, et la bataille commença. Eldan se prit au jeu et ramassa quelques munitions avant de se faire bombarder ; il se croyait retourné à l’âge de ses dix ans et se mit à rire comme une bête de foire.

   Lalya s’arrêta subitement et leur adressa un signe de main signifiant qu’ils ne devaient plus bouger, puis scruta le ciel et y discerna deux silhouettes sombres. Leur enthousiasme s’estompa rapidement en se demandant si les Huttlords avaient pu les suivre jusqu’ici, sans être certains qu’il s’agissait réellement d’eux, car ils étaient encore loin.

   − Ce ne sont que des oiseaux, nota Eldan à moitié convaincu par ce qu’il disait.

   Sans autre envie de rester à découvert, ils décidèrent de retourner chez Elzear.

   Le soir les accueillit avec sa fraîcheur, et avec un repas qu’ils prirent tous ensemble : un lapin fondant sous la langue que Mornar apprécia tant qu’il faillit le manger à lui seul ; Aména était sans nul doute une cuisinière qui allait faire leurs affaires.

   − Votre appétit me fait plaisir, dit-elle.

   − Je crois que c’est… le meilleur repas… depuis notre… départ, dit Mornar qui réussit à poser quelques mots entre deux bouchées.

   Le lapin et les pommes de terre ne mirent pas longtemps avant d’être dévorés.

   Le festin terminé, ils discutèrent quelques instants de la vie qu’Elzear et Aména menaient à Sulleda, ainsi que celle qu’Eldan, Mornar et Lalya avaient laissée derrière eux pour rejoindre la cité.

   Elzear semblait déjà bien informé sur l’organisation mise en place à Aquira, ainsi que celle des régions environnantes. Il a sûrement dû y habiter, songea le jeune homme, sans toutefois pouvoir recueillir des informations sur son passé. Aména ne paraissait pas plus enclin que lui à leur parler d’elle, mais resta néanmoins serviable et souriante.

   Eldan se réveilla le lendemain matin avec un goût amer d’injustice qui lui revint en bouche, mais avait passé une bonne nuit, malgré des doutes sur sa survie ultérieure qui s’insinuaient cruellement en lui depuis la veille.

   Il y avait quelques chambres d’amis à l’étage supérieur et tous trois en occupaient une.

   Eldan se leva et s’habilla, puis descendit les escaliers pour retrouver Mornar et Lalya qui discutaient dans la salle à manger.

   − Salut, la marmotte ! dit Mornar.

   − J’ai dormi longtemps ?

   − Assez, fit Lalya.

   − Je devais en avoir besoin.

   Le jeune homme remarqua la présence d’Aména à travers les jaillissements de la lumière ; midi ne devait pas être loin.

   − Bonjour, dit-il chaleureusement.

   − Bonjour.

   − J’ai tenté par tous les moyens de lui soutirer la recette du lapin d’hier, dit Mornar, mais j’aurais mieux fait de demander à mon cheval de danser la samba.

   − Je ne dévoilerai pas mes secrets aussi facilement, dit Aména avec légèreté.

   − Tu as bien fait, dit Lalya. Gâcher un plat aussi parfait serait un crime.

   − Exactement, ajouta Eldan en s’asseyant.

   − Merci, dit Mornar. Je me souviendrai de votre soutien… C’est bon je me tais, deux contre un, je connais, ronchonna-t-il.

   Eldan étouffa son rire dans un raclement de gorge, puis se rappela avoir des zones d’ombres à éclaircir.

   − Où est Elzear ? demanda-t-il à Aména.

   − Il s’entraîne dehors.

   − Seul ?

   − Oui, il pratique ses exercices du matin.

   − Merci, je dois aller lui parler.

   − Nous te suivons, dit Lalya.

   − Où est Zaor ? demanda Mornar.

   − Je l’ai laissée dans ma chambre le temps de parler à Elzear. C’est stupide, mais je me sens aussi vulnérable qu’un ver.

   − C’est normal, dit Lalya. Elle s’est formée à ta guise, à ta manière d’être, elle se fond dans tes mouvements. Elle fait partie de toi maintenant.

   − Ce doit être vrai, admit Eldan. J’ai l’impression de me séparer d’une partie de moi-même.

   Ils ouvrirent la porte pour arriver à l’air libre et remarquèrent qu’Elzear n’était pas là.

   − Faisons le tour de la maison, dit Eldan.

   Ils longèrent les murs pour le retrouver à l’ombre de la façade sud, suant.

   L’arrière de son habitation était en réalité un terrain aménagé pour sa pratique quotidienne des arts martiaux, une place nettement plus complète que celle de Merino, avec trois sacs de frappe de différentes tailles, des bâtons de toutes les longueurs et des cibles accrochées un peu partout. Eldan présuma qu’il les utilisait pour perfectionner ses techniques de frappe.

   De nombreux mannequins de bois étaient montés. Eldan en avait vu dans le dernier temple visité : un tronc en hêtre ou en iroko, large d’une vingtaine de centimètres, représentant le buste d’un adversaire. L’engin comportait trois bâtons polis à différents niveaux du corps, ainsi qu’un quatrième, légèrement arqué fixé plus bas, faisant office de jambe avant.

   Sous une toiture, suspendu à une barre murale, Elzear se maintenait avec l’index et le majeur de chaque main ; il était torse nu et vêtu d’un simple pantalon noir, ample et usé par des heures d’entraînement.

   Chaque muscle était extraordinairement dessiné, ils n’étaient pas volumineux, mais fermes et solides comme de la roche, avec des pectoraux qui lui recouvraient le torse comme des plaques d’acier, lui divulguant de large d’épaules et un bassin relativement fin.

   Une silhouette athlétique et taillée pour la puissance.

   Il pratiquait un exercice pour les abdominaux, car il avait les jambes tendues à l’équerre et semblait méditer, en transe ; un effort titanesque pour la majeure partie des hommes, mais lui, il paraissait l’effectuer sans la moindre difficulté.

   − Mais comment fait-il cela ? s’interrogea Mornar.

   − Je crois qu’il est inutile de lui demander, dit Lalya. Il n’a pas l’air d’être avec nous.

   Après un instant qui leur parut une éternité, Elzear baissa gentiment les jambes, dans un contrôle absolu, et atterrit en souplesse. Il se fit craquer la nuque et se plia en deux, amenant sa tête entre ses genoux, avant de se redresser pour s’étirer le buste, découvrant une ceinture abdominale qui semblait sculptée dans du marbre ; il n’avait pas une once de graisse, que du muscle pur et dur.

   D’un pas fluide, il s’avança vers eux :

   − Puis-je vous aider ?

   − Nous aurions aimé parler des événements qui vont suivre, dit Eldan. Si tu ne peux pas utiliser Zaor convenablement, je le ferai. Mais je dois tout connaître de l’épée.

   − Tu connais déjà tout d’elle.

   − Peut-être, mais tu l’as porté bien plus longtemps que moi, tu sais donc…

   ­− Je n’ai pas dit que je n’avais rien à t’enseigner. Pour manier Zaor correctement, tu ne dois pas comprendre son fonctionnement, mais plutôt apprendre à te découvrir. C’est par ta volonté et ta propre maîtrise qu’elle se fondra adéquatement dans tes mouvements.

   Il marchait de long en large d’une démarche féline, puis continua :

   − Le contrôle de l’arme passe avant tout par le contrôle du corps. L’épée n’est que le pro…

   Il s’arrêta net, en alerte. Ses yeux s’écarquillèrent.

   − Qu’y a-t-il ? demanda Mornar.

   − Silence. Pas un bruit, murmura-t-il. J’entends quelqu’un, je crois que nous avons des invités…

   Un bruit de pas se fit entendre, ainsi qu’une voix qui retentit de l’autre côté la maison :

   −      Il est ici…

   Eldan reconnut immédiatement la tonalité, lente, rauque et caverneuse. Une voix horrible qui lui donna des frissons. Pas maintenant. Pas ici.

   Les Huttlords se tenaient devant la maison.

   Mais comment les avaient-ils retrouvés ? Eldan regarda Mornar et Lalya qui semblaient aussi terrifiés que lui, et pour couronner le tout, Zaor se trouvait à l’intérieur ; ils étaient à leur merci. Eldan eut envie de hurler de rage, tant il aurait voulu pouvoir remonter le temps ne pas avoir laissé son épée à l’intérieur comme un idiot, mais ce n’était malheureusement pas le cas, il était bel et bien désarmé.

   Elzear leur fit signe de le suivre, puis ils firent le tour de la maison par le côté est afin de se dissimuler derrière des buissons particulièrement denses, où ils découvrirent qu’effectivement les créatures se tenaient devant la demeure des Semenral, et qu’il s’agissait des deux mêmes monstres qui le pourchassaient depuis son départ de Hatteron : les meurtriers de Nordal et Shake. Eldan ressentit une rage bouillonnante qui lui contracta l’estomac et lui brûla les yeux, mais il devait se contrôler et ne pas leur sauter dessus comme un demeuré, car il ne pouvait les affronter maintenant.

   Les deux Huttlords s’approchèrent de la porte d’entrée, ils étaient à vingt mètres environ.

   Elzear sortit rapidement du buisson et se mit dos contre la façade de sa maison, toujours du côté est. À cet instant, il était invisible pour les monstres, mais il ne voulait apparemment pas en rester là ; il contourna le coin du mur pour arriver devant la porte d’entrée : à quelques mètres des deux créatures, torse nu et désarmé.

   Le plus étrange était qu’il paraissait parfaitement détendu.

   − Il est complètement givré ! dit Mornar à voix basse. Il va se faire étriper !

   − Il ne tiendra pas deux secondes, dit Lalya, il ne nous reste qu’une seule solution : Mornar et moi devrons affronter les créatures, ce qui te laissera le temps de rentrer à l’intérieur pour récupérer Zaor.

   Mornar acquiesça d’un signe de tête, mais Eldan n’osa pas regarder le drame qui allait se produire et déboucher sur la perte de ses deux amis.

   − Que voulez-vous ? demanda Elzear d’un ton hautain.

   − Tu le sais très bien, laisse-nous entrer. L’arme est ici, Haïdalir aussi. Nous devons la récupérer. Ne t’en mêle pas.

   − Je crains, malheureusement pour vous, que tant que je respirerai, aucun de vous ne passera vivant le seuil de cette porte. Partez, c’est le meilleur conseil que je puisse vous donner.

   Il leur lança un regard autoritaire, comme s’il venait de réprimander des enfants.

   ­− Alors soit, répondit Harghour en dégainant sa flamberge.

   Tout se déroula très vite, trop vite. Le monstre s’avança vers lui, en brandissant sa lame pour lui fendre le crâne. Elzear esquissa un bond léger et très rapide qui amorça simultanément un coup de pied latéral dans le ventre de Harghour.

   Tout s’était passé en un clignement d’œil ; le coup était sorti de nulle part et avait déployé une puissance qui avait plié en deux la créature, littéralement brisée de l’intérieur.

   Elzear lui agrippa le bras et fit basculer le Huttlord par-dessus lui, lequel s’envola vélocement et vint s’écraser au sol comme un vulgaire chiffon. D’un coup net, rapide et sans failles, Elzear lui brisa la nuque avec le talon avant de s’emparer de sa flamberge pour s’avancer vers le second.

   Il regarda son arme puis la laissa tomber à terre en observant Rahcsar avec un calme effrayant.

   La créature sortit sa hache pour l’attaquer avec un coup circulaire et encore une fois, la réaction fut instantanée, sans échappatoire. Elzear bondit en l’air et frappa le poignet du Huttlord avec l’intérieur de son pied droit. La hache fusa quelques mètres plus loin, tandis qu’il atterrit en souplesse, le corps tendu comme un arc prêt à claquer.

   Désarmée, le Huttlord voulut le plaquer sur le dos, mais Elzear se montra bien trop efficace. Bien trop rapide. Il s’était déjà élevé pour lui décocher un coup de poing destructeur dans la gorge.

   Rahcsar était l’agonie et recherchait ses derniers souffles, tout s’était passé trop vite, et bien que ses sens soient très développés, ceux de son adversaire l’écrasaient en tout point de vue.

   Il était battu et brisé.

   Comment pouvait-il être aussi rapide ? La créature posa ses deux mains sur sa gorge, et tenta vainement de respirer ; ses phalanges lui avaient éclaté la carotide. Il tomba à genoux en laissant les ténèbres s’emparer de son champ de vision, puis regarda une dernière fois son adversaire qui n’allait pas tarder à l’achever. Mais qui était-il ?

   Elzear l’observa tomber à genoux avec un regard noir, puis l’énuqua du tranchant de la main ; ses yeux écarquillés décrivaient une telle intensité, une telle force qu’Eldan en resta paralysé de peur.

   Le monstre s’affaissa sur le ventre, mort.

   Elzear fit craquer sa nuque et s’étira les épaules, comme il venait de le faire tout à l’heure, comme s’il ne s’agissait que d’un simple exercice.

   Eldan, Mornar et Lalya oscillaient entre la joie, le soulagement et la peur, car ils étaient maintenant libres de la menace que représentaient les deux Huttlords, mais étaient aussi face à une déflagration de violence qui était plus dangereuse encore que les deux créatures réunies ; il venait de les écraser sans armes et surtout sans trahir la moindre incertitude.

   Elzear était un maître, un expert unique en combat, aucun des trois n’en doutait maintenant ; mais plus important encore, était qu’ils ne pourraient tout simplement pas lui résister s’il se retournait contre eux.

   Ils sortirent de leur cachette pour s’avancer vers Elzear.

   Maître. Ce fut le mot qui s’immisça dans l’esprit d’Eldan lorsqu’il lui adressa la parole :

   − Mais… comment as-tu… ?

   Le jeune homme s’emmêla les pinceaux en lui posant la question, tant la situation lui paraissait… irréelle.

   − Pour l’instant, aidez-moi à cacher les corps, dit Elzear.

   Il s’avança vers Harghour, puis le fouilla, avant de continuer sur Rahcsar en lui faisant méticuleusement les poches. Il se redressa d’un air satisfait en tenant un livre dorian dans les mains.

   − Le Livre des Ombres, dit-il.

   − Qu’est-ce que c’est ? demanda Lalya.

   − L’un des outils les plus fascinants de Melinir, il leur permet de communiquer avec leur général : Hydralkor. J’espère pour vous que vous ne le croiserez jamais, c’est le bras droit de Rha-Zorak, il est sans pitié.

   « Chaque mot inscrit dans un exemplaire s’affiche sur le sien, continua Elzear, il doit sûrement y avoir des informations importantes.

   Il ouvrit le livre pour y lire les derniers mots :

Un homme a tué HuaǶird et s’est enfui avec l’épée.

   Empêchez-le de gagner Aquira si ce n’est pas déjà fait. Tuez-le et récupérez ce qu’il a volé.

Général, la situation est grave, il peut la manipuler.

Ce n’est encore qu’un paysan, évitez qu’il ne devienne plus que ça.

Nous avons besoin d’Hodraques.

Herderac vous en remettra au Rocher Tombant. N’échouez pas.

Ils nous ont échappés à Aquira. Nous les pourchasserons, ils se dirigent vers le sud.

Seigneur Rha-Zorak s’en va pour Horp, il est à présent informé de votre situation. Il vous conseille de le retrouver au plus vite.

L’homme nous a dit où Haïdalir se rendait : Sulleda.

Amenez-le-moi, et partez sur l’île.

   − Ils ont capturé quelqu’un qui savait où nous nous rendions, répéta Eldan.

   − Merino, Vince, Max, ou Jols, ajouta Mornar.

   − N’importe quel marin aurait pu témoigner de ce qui s’est passé à bord du Sirenie, dit Eldan, pas besoin d’être un génie pour comprendre que Zaor a fait fuir la créature.

   − Ou c’est Shake qu’ils détiennent, fit Lalya.

   − De toute manière, vous ne pouvez rien faire pour la personne qui est enfermée à Fort Rha-Zorak, trancha Elzear. Ce serait une mission suicidaire de vous introduire les trois dans son enceinte. Concentrons-nous d’abord sur votre survie.

   Il sortit la plume du livre pour y déposer un faux message : Haïdalir est mort. Nous avons l’arme, mais nos Hodraques ont péri. Nous revenons à la Forteresse.

   − Il ne se doutera pas…, dit-il d’un air concentré. Ou du moins pas tout de suite.

   − Comment sais-tu cela ? demanda Eldan.

   − Ce n’est pas le premier Huttlord que je rencontre. J’ai déjà surpris une de leurs conversations, ils sont tant convaincus par leur supériorité sur nous qu’ils ne sous-estiment que trop nos capacités, une négligence qui leur a coûté la vie.

   « Maintenant, aidez-moi à les enterrer.

   − Les enterrer ?! s’exclama Mornar. Ces monstres méritent de pourrir ou de se faire dévorer par des charognards ! Mais surtout pas d’être enterrés !

   − Je n’en pense pas moins. Mais je préfère qu’ils pourrissent avec les vers plutôt que d’empester mes terres.

   À contrecœur, Mornar les aida à transporter les Huttlords dans la forêt qui se situait à proximité de sa demeure.

   Eldan fut soulagé de les déposer, car ils étaient incroyablement lourds et dégageaient une puanteur insupportable ; une odeur de pourriture et de décomposition qui lui donna des nausées.

   Le jeune homme regarda les deux bosselures de terre fraîche dans lesquelles étaient ensevelis les deux Huttlords et ressentit un élan respect envers Elzear ; Nordal et Shake étaient maintenant vengés.

   Ils retournèrent chez Elzear.

   − Ne dites rien à Aména, leur dit le maître. Je ne voudrais pas l’inquiéter.

   Les trois amis acquiescèrent d’un signe de tête.

   − Où as-tu appris les arts martiaux ? demanda Eldan.

   Il lui répondit par un regard mystérieux :

   − J’ai été formé dans différentes Écoles, mais je m’entraîne seul, depuis longtemps.

   Le reste de la journée se déroula sans incident, Lalya aidait Aména en cuisine, tandis qu’Eldan et Mornar réparaient une porte avec Elzear. Les deux amis traitaient à présent le maître avec respect et surtout avec une certaine prudence.

   − Voudrais-tu nous accompagner jusqu’à Aquira ? demanda Eldan. Ton talent pourrait nous être utile.

   − Je crois que tu connais déjà la réponse. J’ai promis à Aména de conserver une vie reculée, je ne me prête plus à aucun conflit.

   − Mais nous avons besoin de quelqu’un comme toi, enfin d’un combattant de ta trempe ! s’exclama Mornar.

   − Je ne vais pas vous suivre, mais je peux vous rendre un service. Enfin, je peux te rendre un service, termina-t-il en s’adressant à Eldan. Je te formerai.

   − Qu’en dis-tu ? demanda Eldan à son ami.

   − Je crois que nous n’avons pas le choix… et je doute que Lalya s’y oppose, au contraire.

   − Mais je vais être exigeant sur quelques points, continua Elzear en plongeant son regard bleu métallique dans celui d’Eldan. Il me faudra tout d’abord ta complète motivation, l’entraînement se fera chez moi, en privé, dans un but purement pratique.

   « Nous commencerons demain matin, je te réveillerai aux premières lueurs de l’aube. Et je te préviens, ça ne sera pas de tout repos.

   − Je serai prêt…

   Tout le monde se retrouva au soir autour d’un repas qui encore une fois fut délicieux. Ils informèrent Lalya et Aména de leurs projets en faisant attention, comme leur avait demandé Elzear de ne pas parler à sa femme de l’incident des Huttlords.