Melinir Tome 1 - Chapitre 26 - Étincelle de courtoisie

Chapitre 26 – Étincelle de courtoisie

Sulleda la magnifique, toi l’unique citée qui par ta myriade de lueurs et de bois taillé, a toujours été la seule splendeur sur Melinir à me faire couler une larme.

Extrait de Ma Vie et la Mer – Capitaine Hortal.
Melinir Tome 1 - Chapitre 26 - Étincelle de courtoisie

   Malheureusement, deux marins avaient perdu la vie et trois autres étaient blessés, mais globalement, tout le monde s’en était bien sorti, vu la taille de l’animal qui les avait attaqués ; car personne ne connaissait de navire ayant résisté à un Strandale.

   Eldan se rendit compte que sans l’intervention de Vince, Max, et Jols, il serait tout simplement mort et qu’encore une fois, il avait eu énormément de chance.

   L’incident avait touché Lalya qui redoutait plus que tout de perdre à nouveau quelqu’un ; mais elle savait qu’elle devrait s’habituer à ce train de vie.

   Elle ne lui adressa pas la parole durant le reste de la nuit. « Elle est trop confuse d’avoir perdu son sang froid », songea Eldan, mais il cessa rapidement d’y penser, car son combat contre la créature l’avait rendu nébuleux et il devait retrouver maintenant la tête froide au plus vite.

   Au bout d’une heure, le bateau redémarra. Les voiles furent à nouveau bombées par le vent et les blessés transportés dans les cabines.

   Eldan se souvint d’un détail important lorsqu’il prit les escaliers pour aller à fond de cale : les chevaux ! Il courut immédiatement vers Mornar.

   − Es-tu allé vérifier l’état de nos chevaux ? demanda-t-il.

   − Non, allons-y.

   Les deux jeunes hommes descendirent en salle des stocks et virent quelques marins ranger les caisses et nettoyer les pots cassés. Ils traversèrent la pièce pour arriver près du bétail et découvrirent que les bêtes étaient toutes debout, c’était bon signe. Seule Mandoline levait la patte avant-gauche, que Mornar regarda de plus près. Elle avait une vilaine blessure au dessus du sabot, et Eldan se hâta de prendre la fiole de PurCiel pour y appliqua une petite quantité de crème. Puis, Mornar examina Stelran, le cheval de Lalya, qui ne semblait pas blessé ; Flèche-Noire non plus.

   Finalement, ils retournèrent se coucher en espérant ne pas devoir se réveiller en pleine nuit par une catastrophe.

   Ce fut un doux rayon de soleil qui vint tirer Eldan du sommeil au petit matin. Il se leva puis regarda Mornar et Lalya qui dormaient encore et ne put s’empêcher d’admirer la jeune femme quelques secondes avant de sortir de la cabine.

   Il se dirigeait vers la proue lorsqu’une main se posa sur son épaule ; il sursauta en se préparant à dégainer Zaor, mais remarqua que ce n’était que le capitaine.

   − Suis-moi, dit-il.

   Eldan s’exécuta et ils s’avancèrent jusqu’au gouvernail, le regard croché vers l’horizon.

   − Tu es courageux, commença-t-il.

   − Ou fou, je ne sais pas.

   − Je crains que les deux aillent de pair. Sans toi, le Sirenie ne serait plus qu’une épave de plus au fond de l’océan et moi de la nourriture pour les murènes.

   Le capitaine marqua une courte pause pour se gratter la barbe :

   − Si tu reviens à Horp, demande le capitaine Hortal, c’est moi. Tes amis et toi pourrez voyager comme bon vous semble tant que ce bâtiment sera sous mes ordres. Nous te devons tous la vie.

   − Merci, dit Eldan, flatté.

   − Ce n’est rien, mais malheureusement, je ne sais pas si je naviguerai longtemps aux alentours de Horp.

   − Qu’entendez-vous par là ? demanda le jeune homme.

   − Rha-Zorak s’est entretenu avec le Gouverneur Sumenar.

   Eldan le regarda intensément, attendant la suite.

   − Ils ont rédigé un traité, continua-t-il.

   − Qui disait ?

   − Rha-Zorak voulait que son effectif puisse se déplacer en ville sans risque d’attaques. Il souhaitait que son armée ait le champ libre, si tu vois ce que je veux dire. Horp va changer, crois-moi.

   − Il cherchait plutôt à contrôler la cité.

   − Indirectement… oui.

   − Pourquoi avoir accepté ?

   − Beaucoup de personnes lui offriraient la totalité de leurs biens, par crainte ou par respect. Son pouvoir est tel, que chercher à l’affronter demande une dose de courage encore bien plus importante que celle que tu as manifestée la nuit passée.

   − Le Gouverneur aurait dû penser à son peuple en priorité, se rend-il compte à quel point les Huttlords et les Hassamdaïs sont dangereux ?

   − Sumenar le sait très bien, et moi aussi ne t’inquiète pas. Mais mets-toi à sa place, il ne pouvait pas savoir comment Rha-Zorak allait réagir en cas de refus, − il sait comme toi et moi que son armée peut écraser Horp en moins d’une journée. Il ne pouvait prendre ce risque.

   − Il s’est laissé appâter comme un chien devant un os…

   − C’était peut-être la meilleure chose à faire.

   − Cela va conduire Horp à la dérive.

   − Et le Sirenie à passer encore plus de temps en mer, là au moins il ne peut y répandre la terreur.

   Il esquissa un petit rire derrière sa barbe.

   − Croyez-vous que Rha-Zorak ait commencé son annexion ?

   − Je ne sais pas, c’est trop tôt pour le dire, mais nous savons qu’il a insisté sur la liberté et la sécurité de ses hommes. Il paraissait chercher quelque chose ou quelqu’un, c’est le sentiment qu’il a laissé à Lord Sumenar.

   Eldan déglutit avec difficulté, car il savait qu’il s’agissait de lui. Il serra le manche de Zaor avec vigueur :

   − Espérons qu’il ne le trouve pas…

   Le capitaine posa une main au-dessus de ses yeux pour scruter l’horizon.

   − Sulleda ! cria-t-il en essuyant une larme qui venait de couler du coin de son oeil. Sulleda est en vue ! Nous arrivons. Par la peau d’Ilirme, je n’ai jamais été aussi heureux d’arriver à destination ! Loctal soit béni !

   ­− Loctal ?

   − Tu n’es pas d’ici toi ! Le grand Loctal, protecteur des flots, et dieu des océans !

   − Je viens du Nord, j’ignore tout de vos croyances…

   − Il paraît que vous n’avez qu’un seul dieu à aduler, j’ai du mal à y croire… Quoi qu’il en soit, garde précieusement cette épée, elle est miraculeuse.

   Eldan espérait le contraire, car si tout allait bien il s’en séparerait.

   Il laissa le capitaine naviguer en sifflotant, et prit la direction des cabines pour réveiller Mornar et Lalya, mais une situation surprenante l’attendit lorsqu’il arriva devant les marins qui l’observaient tous étrangement, avec une main sur le cœur en fredonnant un air.

   Ils chantaient apparemment en son honneur.

   Leurs voix se mélangèrent pour créer un chant envoûtant et tout simplement magnifique. Eldan s’arrêta à l’instant, comme paralysé par cette soudaine révérence.

   Chaque note le fit frissonner à en avoir la chair de poule. C’était un chant lent, clair et limpide comme de l’eau de roche, et semblait faire vibrer le navire tout entier.

   De l’océan, un jour de danger, un jour de gloire

   Naquît à travers les premières lueurs de l’aube

   Le Sirenie ! Jamais ne triompheront les abysses

   Au Sirenie ! Jamais ne l’emportera la bête

   Au Sirenie ! Toujours le Seigneur de l’Océan

   De son courage marquera à jamais

   Le cœur des hommes de la mer

   De l’océan, un jour de danger, un jour de gloire…

   Les voix éteintes, Eldan ne sut quoi dire, tandis que les marins lui adressaient un signe de tête en guise reconnaissance, avant de regagner leurs tâches. Haïdalir resta déstabilisé par ce chant qui l’avait remué jusqu’aux tripes, et qui résonnait dans son esprit en berçant chacun de ses pas.

   Le cœur léger, il se dirigea vers les cabines pour y retrouver ses compagnons qui sortirent à l’instant, et ne put s’empêcher de sourire en s’avançant vers eux, encore ému par cette révérence inattendue.

   Tous trois se rendirent à la proue où ils s’accoudèrent à la balustrade, juste au dessus de la sirène de bois ; Eldan contemplait Sulleda qui grandissait peu à peu :

   − Nous le trouverons.

   − Ce n’est pas une petite ville et cela prendra probablement du temps, dit la jeune femme, mais nous y arriverons.

   − Il paraît que la cité est magnifique ! fit Mornar. Nous allons sûrement découvrir de sacrés édifices.

   − Ouais, je vois desquels tu parles, dit Eldan. Évite qu’on doive te récupérer dans une taverne toutes les vingt minutes.

   − Je crois que nous n’allons pas nous priver de visiter la ville pendant nos recherches, lui accorda Lalya, mais il ne faudra pas traîner, car nous devrons l’escorter à Aquira.

   − J’aurais quelques questions à lui poser lorsque nous l’aurons trouvé, lâcha Eldan.

   En effet, il espérait enfin obtenir des réponses : pourquoi ce dernier s’était-il séparé de Zaor ? Et pourquoi une telle arme de destruction était-elle enterrée sous une écurie, à Hatteron ?

   Ils discutèrent le restant du voyage en ayant le regard croché sur Sulleda qui grandissait à vue d’œil ; la ville semblait gigantesque.

   Quand le Sirenie amarra au port de la cité, ils se dirigèrent vers Vince, Jols et Max.

   − Je crois que nos chemins se séparent ici, dit Mornar.

   Vince souriait, mais était manifestement triste de les quitter aussi vite :

   − Portez-vous bien.

   Il serra chacun des trois dans ses bras et Jols leur fit aussi ses adieux, ainsi que Max.

   − Ne changez pas, dit Eldan.

   − Et faites la peau à ce poulpe si vous le croisez au retour ! s’écria Mornar.

   − Je n’en suis pas sûr, dit Max en jetant un coup d’œil aux dégâts provoqués par le Strandale, mais nous essayerons.

   Après les adieux, ils récupérèrent leurs chevaux et descendirent finalement du bateau par la passerelle qui venait d’être déployée. Eldan murmurait quelques mots à l’oreille de Flèche-Noire pour lui faire comprendre qu’ils étaient maintenant plus en sécurité, et Mandoline pouvait apparemment trotter correctement, ce qui rassura Mornar.

   Enfin, ils y étaient.

   Sulleda.

   − Par où commencer ? demanda Mornar.

   − Nous pourrions d’abord trouver une auberge, dit Lalya. Ensuite, nous entamerons nos recherches.

   Puis, elle s’arrêta nette en regardant curieusement dans le vide.

   − Que t’arrive-t-il ? demanda Mornar.

   − Une vision, l’informa Eldan.

   Pour la première fois, l’archer découvrit ce regard étrange, pétrifié et empreint d’anciennes images.

   Quand elle rouvrit les yeux, elle souriait.

   − Ça va ? demanda Eldan.

   − Très bien.

   − Tu as vu quoi ? questionna Mornar.

   − Rien d’important. Un couple qui s’embrassait pour la première fois, c’était vraiment beau, à tel point que le lieu regorge encore de l’atmosphère qui y régnait, de l’amour qui s’en dégageait…

   Eldan acquiesça d’un signe de tête.

   − J’en ai les larmes aux yeux, bâilla Mornar. Bon, allons-y

   Les trois compagnons s’enfoncèrent dans la ville en en empruntant une allée d’où émanait une douce odeur de fruits exotiques. Sulleda ressemblait à Horp, mais était nettement plus belle, avec davantage de fleurs, de plantes et de palmiers qui ornaient les routes, ainsi que de nombreux parcs qui avaient été construits dans des résidences privées.

   Pratiquement toutes les maisons étaient bâties en bois, plus hautes et mieux entretenues que celles de Horp ; la ville elle-même semblait être faite pour être admirée.

   Sur leurs chevaux, ils avançaient au pas le long d’une rue adjacente au port. Comme à Horp, de grands marchés aux poissons se tenaient en pourtour de la côte et de nombreux stands et boutiques offraient de la distraction aux visiteurs. Ils prirent ensuite une ruelle qui conduisait au centre de la cité : d’où ils espéraient trouver des auberges. Par endroits, le terrain, principalement composé de gravillons, restait stable et accessible à leurs chevaux. L’artère les mena aux confins d’une vaste place qui comportait en son milieu un somptueux jardin verdoyant, ainsi qu’un ruisselet artificiel qui le parcourait en lacets pour rejoindre une fontaine de pierre. Et d’imposants saules ornaient l’édifice, alors que les rayons du soleil baignaient dans une écharpe orangée qui flottait sur la ville. Autour de la place se tenaient d’éminentes habitations de bois pour les plus riches de la cité ; l’air était tiède, agréablement confit de verdure, de pois et de vapeur maritime.

   Ils continuèrent leur traversée et virent une armurerie, une boulangerie, une épicerie, et une vieille taverne comportant un écriteau illustrant des cervoises du nord – il leur fallut dénigrer leurs meilleurs arguments pour dissuader Mornar d’y passer un bout de la journée.

   Ils approchaient du centre de la cité où la foule était toujours plus abondante ; même le brouhaha semblait plus calme et plus apaisant qu’à Aquira.

   Au bout d’une demi-heure, l’auberge de La Gorge d’Or apparue au coin de la rue qu’ils traversaient.

   Les trois amis attachèrent leurs chevaux et entrèrent dans le bâtiment. Ils avançaient en discutant de l’endroit et arrivés près du bar, contemplèrent l’établissement en commentant les filets de pêche qui avaient été installés au plafond, mais un homme vint les interrompre avant qu’ils ne s’adressent à l’aubergiste. Il avait le teint blanchâtre, pas très grand, des cheveux châtain clair et une barbichette.

   − Ne séjournez pas ici, dit-il.

   − Pardon ? demanda Eldan, et pourquoi ?

   − L’auberge est bien trop chère pour ses services, et vous aurez des ennuis avec la plupart des résidents. Ne dormez pas ici, je peux vous dire où se trouve la meilleure.

   − Et qu’est-ce que tu y fabriques alors ? demanda Mornar.

   − Quelqu’un me devait de l’argent, mais je pars à l’instant, je suis pressé.

   − Et où se situe cette auberge ? fit Lalya.

   − Cela serait trop long à vous expliquer, en revanche, ce soir je peux le faire.

   − Pourquoi si tard ? siffla Eldan qui trouvait ses propos de plus en plus étranges.

   − Je vous l’ai dit, je suis pressé, mais retrouvons-nous ici même au crépuscule, et je vous conduirai à l’auberge.

   − Qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas un piège ? grogna Mornar.

   − Rien du tout. À vous de voir.

   L’homme, âgé d’une vingtaine d’années, se mit à marcher d’un pas pressé.

   − Au cas où, je m’appelle Frans, dit-il avant de quitter l’établissement.

   − Crois-tu qu’on puisse lui faire confiance ? demanda Mornar à Eldan.

   − Il m’a l’air honnête, mais je n’en sais rien du tout, il faudra tout de même rester sur nos gardes.

   Eldan baissa la tête et réfléchit à la suite des événements :

   − Le mieux serait d’immédiatement partir à la recherche de notre homme. Lalya, tu sais où il pourrait être ? Tu avais remarqué un bâtiment, une rue, un édifice ou un élément distinctif ?

   − Non, je ne peux pas te décrire un lieu précis, il marchait au milieu de la foule, j’ai reconnu Sulleda grâce aux habitations qui l’entouraient, mais impossible de savoir dans quelle partie de la ville il se tenait.

   − Tu es donc déjà venu ? demanda Mornar.

   − Non. En revanche, il y a une bonne dizaine de peintures de la ville dans le musée de Merino, et j’ai une excellente mémoire.

   − Les maisons ne sont pas très communes, remarqua Eldan en scrutant alentour, ce serait effectivement très difficile de se tromper de ville.

   En effet, ce qui les différenciait beaucoup des autres, étaient leurs toits arrondis, légèrement incurvés vers l’intérieur, avec des bordures surélevées qui étaient incrustés de sculptures.

   − Bon, dit Mornar, nous ne sommes pas près de trouver notre ami…

   Ils décidèrent de rester au centre-ville pour le début de leurs recherches, et comme à Aquira, il y avait de nombreux marchés, avec de l’animation à tous les coins de rue, mais la ville émanait une atmosphère moins fantaisiste ; les gens étaient apparemment plus sobres, plus raisonnables, comme s’ils suivaient un code de conduite.

   Durant la matinée, ils recherchèrent ledit homme dans la foule de manière plutôt hasardeuse – ils remarquèrent vite que cela ne les mènerait nulle part et entreprirent de questionner des habitants, mais la description qui leur était offerte restait bien trop imprécise pour qu’ils puissent obtenir un nom ou même une adresse. Vers le milieu de la journée, ils s’arrêtèrent à l’ombre d’une toiture de taverne, car le soleil frappait sans pitié.

   Mornar s’adressa alors à Lalya :

   − À quoi ressemblait-il déjà ? À force de parler de ça avec tout le monde, je crois que je suis en train de tout mélanger.

   − Blond, yeux bleus, taille légèrement inférieure à la moyenne, large d’épaules, athlétique, une démarche énergique, un nez aquilin. Je le reconnaîtrais à coup sûr si je le croise.

   − Bon, autant chercher une aiguille dans une botte de foin, nous avons meilleur temps de siroter une bonne cervoise au frais dans cette taverne avec un…

   − Mais oui ! s’écria Lalya en se frappant le front. Il doit forcément pratiquer dans une École. Je l’ai vu prendre la position du tigre et ensuite celle du cavalier lorsqu’il maniait Zaor.

   − Bien, allons les parcourir, fit le jeune homme.

   Eldan se dirigea vers un passant pour lui demander des informations. Il avait le teint mat et une fine barbe sombre qui lui fit penser à celle de Nordal, et surtout l’air de bien connaître la ville. Il leur indiqua l’emplacement de cinq d’entre elles.

   L’homme se montra agréable et serviable, comme beaucoup d’autres : une forme de courtoisie et de respect qui semblaient implantés chez tout le monde.

   « Les gens ont une autre culture, ici », conclut Eldan.

   Les trois amis se mirent en route et traversèrent trois rues pour arriver en face du premier établissement. Eldan frappa à la porte et découvrit un homme au crâne rasé qui vint lui ouvrir quelques instants plus tard.

   − Que puis-je pour vous ? demanda-t-il.

   Eldan répondit maladroitement :

   − Bonjour, je suis navré de vous déranger, mais nous recherchons quelqu’un et nous aurions aimé entrer dans votre établissement, si cela ne vous importe pas bien sûr.

   − Entrez donc.

   L’homme lui coupa presque la parole, sans toutefois se montrer impoli, puis les invita à entrer d’un signe de main en leur souriant chaleureusement.

   À l’intérieur, il leur expliqua qu’ils devaient enlever leurs chaussures et ne pas déranger les pratiquants qui s’entraînaient. Ils accédèrent ensuite à un vaste hall surplombé par de hautes voûtes en bois et s’installèrent sur un banc près du mur. La salle contenait une centaine de personnes et chaque groupe s’entraînait à une discipline différente. D’après l’architecture, ce n’était pas une école comme ils avaient pu en voir à Aquira, mais un temple, et ces hommes y vivaient.

   De toute évidence, le deuxième Haïdalir n’y était pas, car tout le monde était rasé de près.

   − Excusez-moi je ne me suis pas présenté, fit leur hôte. Je me nomme Muil Y’Sanga, bienvenue au temple de Muil. Je suis le Maître des lieux.

   Son attitude respectueuse et sa courtoisie leur donnaient l’impression qu’il n’aurait pas osé faire de mal à une mouche.

   − Notre temple regroupe plus de deux-cents pratiquants, continua Muil. Chacun y apporte du sien et nous vivons en communauté. Nous vouons notre vie à la pratique des arts martiaux ou à toute autre forme de développement personnel visant à améliorer notre qualité en tant qu’individu.

   − Remarquable, dit Lalya, qui les observait pratiquer.

   − Merci, dit Muil en s’inclinant poliment.

   − Malheureusement, je ne crois pas que notre homme soit ici, dit Mornar.

   − À quoi ressemble-t-il ?

   − Entre vingt-cinq et trente ans, cheveux blonds mi-longs, énergique, une carrure athlétique.

   − Veuillez m’excuser, répondit Muil. Comme vous le voyez, aucun d’entre nous ne correspond au profil. Nous ne recrutons pas d’hommes adultes, seuls les enfants de douze ans au maximum y sont admis. C’est grâce à cette règle que nous avons admis de nombreux orphelins qui seraient morts de faim dans les rues de Sulleda.

   − Bien, dit Eldan. Nous allons continuer nos recherches, je vous remercie pour votre accueil.

   − Je vous en prie, mes pensées vous accompagnent.

   Ils sortirent du temple en remerciant Muil Y’Sanga.

   − Bon, dit Mornar en soupirant. On n’est pas prêt de la lui remettre sa foutue épée.

   − Pas vraiment, et on n’a pas l’ombre d’une indication, fit Lalya.

   − Nous le trouverons, lâcha Eldan avec détermination, s’il est en ville, il ne nous échappera pas.

   Ils passèrent le reste de la journée à voyager d’école en école, mais pas une fois Lalya ne reconnut l’homme qu’il recherchait, même si beaucoup y ressemblaient.

   Ils entrèrent dans un deuxième temple et remarquèrent que les règles étaient les mêmes que pour celui de Muil : les membres étaient admis dès l’enfance et devaient se raser le crâne quotidiennement. Ils apprirent par le maître de l’établissement −  qui se nommait Arelgan – que tous les temples étaient pareils et qu’ils n’auraient pas d’espoir de trouver leur homme dans un tel établissement.

   Mornar commençait à douter des certitudes de Lalya :

   − Tu es sûr qu’il vit à Sulleda ? Si on est venu jusqu’ici pour rien, je te…

   − Je ne suis sûre de rien, il y était il y à peu près dix jours, c’est ce que j’ai senti au travers de ma vision, mais il a peut-être quitté la ville, je ne peux pas le savoir. Le trouver dépendra uniquement de notre chance.

   − Et comment as-tu su qu’il était un Haïdalir ? continua Mornar.

   − Parce qu’il la maniait idiot ! Réfléchis.

   − C’est vrai, je dis n’importe quoi.

   − Bon sang, tu as autant de patience qu’un gosse de cinq ans ! Je vais te raconter pour la dixième fois ce que j’ai vu. Il marchait à travers la foule, ici à Sulleda. Puis, je l’ai vu manier Zaor au milieu d’une plaine que je n’ai pas reconnue, mais là, ça datait de plusieurs années. Tu sais, comme un souvenir précis de ton enfance ; et bien, c’était le même sentiment.

   − Je vois…, dit Mornar.

  − Bon, les interrompit Eldan, il est l’heure d’aller retrouver Frans. La nuit va bientôt tomber.