Melinir Tome 1 - Chapitre 42 - L'infini savoir du combattant

Chapitre 42 – L’infini savoir du combattant

La non-pensée comme seule pensée
Le vide comme seule consistance
La souplesse comme seule force
La légèreté comme seul appui
L’intention comme seule arme de destruction

Notes personnelles – Elzear Semenral
Melinir Tome 1 - Chapitre 42 - L'infini savoir du combattant

   Eldan suivit Frans qui dévalait la colline à grandes enjambées et pénétra dans la cité sans perdre de temps.

   Il s’en voulait.

   Terriblement.

   Mornar et Lalya étaient maintenant entre les mains des Pillards, pourquoi ? Simplement parce qu’Eldan s’était montré égoïste, et ses amis trop imprudent. Il espérait plus que tout les retrouver en vie et s’excuser pour son départ mystérieux, car il lui était encore impossible d’imaginer la suite de son voyage sans eux ; c’était tout bonnement infaisable.

   Mais comment allait-il s’y prendre ? En considérant qu’ils étaient sains et saufs, il ne pouvait affronter un bataillon de voleurs à lui seul, il avait besoin d’Elzear pour les tenir à distance, mais lui était aussi quelque part en ville à leur recherche, et avait très peu de chances de les retrouver sans les indications de Frans… quel calvaire !

   Eldan devrait endurer seul cette épreuve et libérer ses deux amis par ses propres moyens.

   Frans lui expliqua leur parcours, puis ils s’engouffrèrent au centre de la cité en empruntant la même route qu’il y a quelques heures. Après avoir traversé de nombreuses ruelles dans les quartiers sombres de la ville, ils prirent celle qui paraissait être la plus lugubre. Frans s’arrêta et regarda alentour.

   − C’est ici que nous nous sommes fait attaquer, dit-il.

   − Étonnant, fit Eldan en secouant la tête, qu’êtes-vous venu faire dans un endroit pareil ?

   − Nous assurer que tu n’y étais pas. Tes amis sont peut-être dans ce bâtiment, en tout cas, c’est de là que les Pillards sont sortis.

   C’était une vieille auberge, apparemment abandonnée depuis de longues années, avec un écriteau pendouillant devant l’entrée : Au Coucher de Soleil.

   Frans s’avança près de la porte, et Eldan l’arrêta en lui posant une main sur l’épaule.

   − Non, nous t’avons assez causé d’ennui. Et ton aide nous a été plus que précieuse, mais ne risque pas ta vie une fois de plus.

   Frans acquiesça et regarda Eldan :

   − Bonne chance… je suis désolé, je ne pensais pas ce que ça se passerait ainsi pour tes amis.

   − Merci, répondit le jeune homme en dégainant Zaor.

   Eldan regarda la porte d’entrée, prit une grande inspiration, l’ouvrit puis scruta la pièce. Elle était plutôt vaste et comportait encore un reste de mobilier ; on pouvait deviner l’emplacement d’un ancien bar et de quelques tables, mais apparemment, le bâtiment était à la dérive depuis de nombreuses années. Il n’y avait personne, tout était à l’abandon… excepté un tintement métallique qui l’avertit d’une présence.

   Au fond, ses deux amis étaient enchaînés à un pilier rectangulaire.

   Le bois commençait à pourrir à certains endroits, et une forte odeur de moisissure englobait la salle. Le jeune homme fit un pas − le plancher grinça – puis regarda sur la gauche où un escalier donnait sur un deuxième étage. Il avait le sombre sentiment de ne pas être seul.

   − Non, Eldan, c’est un piège ! cria Lalya. Ne reste pas ici !

   Le jeune homme avança prudemment.

   Mornar, ligoté, se releva comme il put :

   − Mon vieux, sors d’ici, trouve Elzear. C’est un piège ! Nous sommes des appâts, c’est toi qu’ils veulent ! Ils ont volontairement libéré Frans pour qu’il t’amène ici !

   À peine eut-il fini sa phrase, qu’une autre voix retentit :

   − Et cela semble avoir fonctionné.

   Un Pillard descendit les escaliers et vint se placer entre Eldan et ses amis, avant d’être rejoint par deux autres voleurs ; tous trois armés d’une fine épée.

   − Frans… un Pillard ? fit Haïdalir.

   Ils éclatèrent de rire.

   − Bien sûr que non, mais vos tempéraments sont tellement prévisibles qu’il n’avait pas besoin d’être de nôtre côté. L’amitié est un pion manipulable, un pion que nous savons manœuvrer à la perfection.

   « Il nous fallait donc une bonne raison pour que tu nous affrontes, sans te défiler comme tu l’as toujours fait… et cette bonne raison est enchaînée derrière nous.

   D’un même pas, ils s’approchèrent d’Eldan.

   Ils avaient cependant raison, le jeune homme savait qu’il devait leur faire face s’il voulait sauver Mornar et Lalya.

   Il pointa Zaor en direction de ses trois assaillants, puis plaça ses pieds à bon écartement, lui assurant une juste stabilité. Il plia les jambes, recherchant une position basse, se vida la tête et supprima les entraves qui pouvaient interférer dans ses futurs mouvements.

   Les trois hommes hésitèrent avant de continuer leur approche, pourtant plus grands et bien plus expérimentés ; mais Eldan possédait une arme qui lui donnait un avantage considérable. Et son énergie, son chi était probablement supérieur à celui de ses trois ennemis réunis.

   L’un d’eux bondit sur Eldan.

   L’attaque venait du haut, mais était bien trop perceptible, même extrêmement lente, trouva-t-il. Eldan pivota sur le côté droit dans un mouvement presque nonchalant et trancha d’un revers.

   Épée et tête furent coupées d’une traite.

   Zaor s’arrêta précisément au niveau du visage d’Eldan. Les deux autres Pillards se regardèrent, surpris, puis s’élancèrent à leur tour. Eldan évita la première attaque en reculant sommairement de quelques centimètres, puis détruit la première arme d’un simple mouvement de poignet ; comme si ses adversaires étaient trop lents ou trop maladroits pour lui. Il avança d’un pas chassé et enfonça Zaor entre les côtes du Pillard. Eldan se redressa et revint en position, sous contrôle, les yeux plongés sur son ennemi, tel un tigre prêt à bondir.

   Le Pillard hurla et abattit son arme dans un geste désespoir. Eldan brandit Zaor, attendant que l’épée de son adversaire vienne se briser sur la sienne ; un éclat de métal qui désarma son agresseur. Eldan, sans hésiter, prit un pas d’élan et bondit sur sa prochaine victime.

   La pointe de Zaor se logea dans sa gorge.

   Haïdalir retomba en souplesse, et tournoya son arme dans mouvement véloce pour y ôter le sang.

   Aussitôt, il entendit d’autres voix.

   « Non… »

   Cinq autres Pillards arrivaient.

   Apparemment, ils voulaient le piéger sans tergiverser, se ruant sur Eldan comme des taureaux en pleine course. Haïdalir brisa une lame et tua le premier voleur avec une facilité déconcertante.

   L’un des voleurs pointa son arbalète dans sa direction, mais avant qu’il n’ait pu tirer, ses deux avants-bras tombèrent au sol… puis il sentit la caresse d’un métal froid lui ouvrir l’estomac.

   − Ôtez-lui son épée par tous les moyens ! Ou évitez son contact ! vociféra un Pillard, où nous allons tous y rester !

   Eldan écarta les bras en reculant de quelques pas, comprenant qu’il était maintenant bien plus dangereux que tous ses adversaires réunis.

   Trois autres hommes se ruèrent sur lui en trahissant de nombreuses hésitations. Eldan détruit une lame, mais dut reculer d’un grand pas pour ne pas se faire sectionner la jambe et se retrouva bloqué contre le mur. Il esquiva deux attaques en baissant la tête, mais reçut un coup de pied dans le poignet ; Zaor tomba au sol.

   Il tenta de la ramasser, mais une lame vint frôler son visage, le forçant à s’éloigner de son arme la plus précieuse : sa seule chance de l’emporter.

   Trois hommes lui faisaient face et Zaor gisait au sol… pour couronner le tout, deux autres Pillards arrivaient en renfort. C’était fini, il allait sûrement mourir, se défaire d’autant d’ennemis, sans armes, était tout bonnement impossible, mais il ne pouvait pas laisser ses deux amis ici. Non, ça, il ne pouvait pas.

   Il devait les affronter.

   Il recula d’un pas, et respira profondément.

   La respiration.

   C’était la clé.

   Respirer.

   Les cinq hommes prirent le temps de l’encercler, car ils avaient maintenant un avantage considérable. Eldan savait que Zaor faisait de lui un combattant redoutable, mais il avait compris au fil de sa pratique, que la clé de la réussite n’était pas enfouie dans un morceau de métal, elle était en lui. Son corps était aussi une arme, et une arme mortelle ; une explosion d’énergie et de férocité qui allait bientôt éclater sur ses adversaires

   Il entendit la voix de Lalya résonner dans un cri de désespoir :

   − Abandonne ! Ne reste pas là ! Eldan ! Ne risque pas ta vie inutilement !

   Les Pillards avaient raison sur ce point, « la bonne raison » était enchaînée à l’autre bout de cette pièce.

   Le jeune homme n’y prêta toutefois que très peu d’attention et se concentra sur sa force interne. Il se souvint des journées entières passées à désarmer Elzear, des centaines d’heures à se battre à mains nues…

   Il tendit calmement les deux mains, en garde, recherchant le même état de lucidité qu’il avait eu face à Serhak. Il sentit le chi le parcourir dans une déferlante de puissance.

   Il attendait ses adversaires sans avoir peur. Il ne réfléchissait plus. Il les regardait, simplement, n’ayant aucune crainte de la mort ; si elle devait arriver, alors tant pis. Il l’accepterait comme une amie.

   Elle était de son côté.

   Son expression changea, son image aussi. Le jeune homme ajusta sa position, recherchant le calme, qu’il trouva aisément.

   Le premier Pillard attaqua.

   Eldan explosa et se rua comme un fauve sur son ennemi, cassant la distance mortelle entre la lame et lui. Il la contourna, et frappa du revers de la main pour éclater sa carotide.

   Le deuxième arriva, tranchant circulaire. Eldan bondit, s’engouffra devant son adversaire, prit appui sur sa nuque et l’aspira dans un tourbillon de force. Le mouvement fut si soudain, si puissant, que les trois autres reculèrent, car le Pillard fut catapulté avec violence contre le mur, s’encastrant la tête dans une planche.

   Il entendit un bruit de pas, derrière lui. Son chi, telle une vague intérieure surgit comme un ouragan et projeta son pied droit dans la mâchoire du Pillard. Une main sous son menton, l’autre sur le crâne, un mouvement sec… les cervicales brisées.

   L’homme s’affala.

   Celui qui était désarmé bondit sur Eldan.

   Haïdalir le repoussa d’un coup de pied dans le ventre, et s’élança sur un autre qui le menaçait de son sabre.

   Eldan sortit de l’axe, évitant la lame, et lui administra une pique des doigts aux yeux, le même poing vint ensuite retomber comme une massue sur le bras armé ; le sabre s’échappa de ses mains.

   Il le frappa au visage d’un coup en revers, lui amenant un genou au sol.

   Cinq coups de poing directs lui brisèrent la mâchoire. Eldan l’acheva d’un tranchant de la main derrière la nuque.

   À ce moment, l’homme désarmé récupéra une épée à terre. Il tenta d’éventrer Eldan qui le vit très facilement venir et cingla son poignet. L’arme s’envola. Tout semblait facile.

   Mais celui-ci ne se découragea pas, il tenta un crochet sur Eldan qui recula comme s’il était ennuyé par la lenteur de son agresseur. Le Pillard enchaîna avec un direct gauche et un nouveau crochet droit, Haïdalir se pencha sur le côté, puis se baissa ; son adversaire frappait dans le vide comme s’il essayait de refermer sa prise sur un poisson trop glissant.

   Le Pillard tenta un direct du droit, mais Eldan le frappa au visage en simultané, l’homme s’effondra comme un pantin désarticulé et se releva aussitôt, au plus grand étonnement d’Eldan.

   Il empoigna la gorge de Haïdalir qui plaça habilement une clé de bras, l’amenant à genoux. Le pauvre donna un autre coup de son bras libre, qu’Eldan saisit avec une autre clé. Le Pillard hurla et se retrouva à plat ventre avant de se faire éclater le crâne par son talon.

   Eldan ramassa Zaor et se retourna, priant pour ne pas voir arriver d’autres Pillards ; mais son souhait ne fut pas exaucé.

   Dix voleurs descendirent précipitamment, précédés par un homme totalement encapuchonné qui se tenait légèrement en retrait ; son visage n’était pas visible.

   Il fit un signe de main, leur ordonnant d’attaquer.

   − Tu es plus fort que je ne le pensais, dit-il d’une voix qu’Eldan avait déjà entendue.

   Un Pillard s’avança vers Eldan qui soupira en songeant qu’il n’allait jamais y arriver ; c’était interminable.

   Il était épuisé.

   Le voleur qui s’apprêtait à l’attaquer s’écroula, un katana planté dans le ventre.

   D’où venait cette arme ?

   Il regarda en direction de la porte d’entrée où une silhouette menaçante venait d’apparaître : Elzear qui approchait, le visage sévère.

   Eldan souffla enfin, il était sauvé.

   Le maître marchait d’un pas souple et serein, à son habitude.

   Un malheureux lui sauta dessus.

   Un seul coup.

   Il ne lui fallut qu’un seul coup de coude pour que l’homme s’écroule sur le dos, mort, le craquement de ses vertèbres cervicales résonnant dans toute la pièce.

   Elzear vint calmement reprendre son katana.

   − Libère-les, dit-il, je m’occupe d’eux.

   Eldan ne se fit pas prier et accourut vers Mornar et Lalya.

   − Merci, dit-elle. Tu n’es pas blessé ?

   − Non, je n’ai rien, par chance.

   − Ma parole, tu leur as flanqué une sacrée dérouillée ! fit Mornar.

   Eldan découpa sans aucune difficulté les chaînes qui retenaient Lalya.

   − Attention ! cria-t-elle.

   Elle frappa du pied sur le genou d’un homme qui approchait, ce qui arrêta sa course. Zaor fit le reste.

   Eldan se retourna pour voir où en était Elzear.

   Il s’était placé de manière à ce que les Pillards doivent l’affronter pour atteindre Eldan et ses amis, ce qui ne laissait aux voleurs qu’une faible chance de survie, sa lame virevoltait comme un éclair. Il semblait enraciné au sol tout en se déplaçant avec légèreté. Son katana fendait l’air dans un bruit cinglant, accompagné des éclats de métal qui volaient dans sa périphérie. C’était un véritable carnage, tournoyant tel un typhon, ses déplacements dépassaient la frontière du réel. Les hommes s’écroulaient les un après les autres comme s’ils étaient aspirés dans un abattoir, ils ne pouvaient échapper aux griffes du tigre. Un ouragan de puissance ; une allonge qui semblait atteindre deux fois sa taille et des mouvements parfaitement exécutés.

   Eldan coupa les derniers liens qui retenaient Mornar, et ses deux amis prirent leur arme avec la ferme intention de se venger.

   Lalya, d’un pas vif, courut sur un Pillard qui n’eut pas le temps de réagir avant de se faire transpercer.

   Eldan détruisit une arme, puis acheva son porteur. Il vit ensuite une flèche se ficher sur son prochain assaillant avant qu’il n’ait pu régler le cas ; Mornar venait de faire parler son arc.

   Elzear enfonça son katana sur le dernier adversaire, un genou au sol, à quelques mètres d’Eldan et ses amis qui n’avaient finalement pas eu beaucoup de travail.

   Haïdalir remarqua que leur chef était encore là, le visage encapuchonné, confortablement crampé dans l’ombre.

   Le Pillard dégaina une longue épée.

   À ce simple geste, il se distingua des autres en émanant un dangereux sentiment de mort. Il paraissait fort, même très fort, et n’avait aucune peur de les affronter les quatre, bien qu’Elzear ait décimé son régiment à lui seul.

   Il fit un huit avec sa lame, démontrant une vélocité extraordinaire. Sans aucun doute un combattant d’un autre niveau que tous ceux qu’ils avaient affrontés jusqu’à maintenant. Un homme entraîné à tuer rapidement, sans bruit, dans l’ombre de tous les regards. Il semblait incarner l’efficacité elle-même.

   Il s’avança.

   Eldan savait qu’il avait déjà vu cette démarche, et était sûr d’avoir déjà rencontré cet homme, mais son cœur palpitait tant depuis son arrivée dans l’auberge qu’il peinait à réfléchir convenablement. Dans tous les cas, il devait l’affronter ; il en sentait l’obligation.

   Il bondit sur le Pillard et l’attaqua d’un coup en piqué. Celui-ci évita l’assaut d’une facilité déconcertante, et fit siffler sa lame à son tour. Le jeune homme dut reculer, tant son contre fut rapide, et à peine eut-il retrouvé sa stabilité, qu’Eldan reçu un coup de pied dans le ventre et fut projeté quelques mètres en arrière.

   Il était efficace, trop efficace pour lui, Eldan n’était tout simplement pas de taille. Le Pillard se retourna et sortit un couteau qu’il lança en direction de Mornar, qui avait encoché une flèche. L’archer eut juste le temps de pivoter pour éviter le projectile, mais le couteau coupa la corde de son arc. Au même moment, Lalya fondit sur l’inconnu et fit siffler sa lame perçante.

   Un nouveau duel débuta.

   Les coups pleuvaient dans une tempête d’énergie. La jeune femme était vive et rapide, ses gestes regorgeaient d’une intensité qu’elle savait parfaitement dissimuler ; sa manière de combattre était étourdissante.

   Malgré la vivacité et la précision qu’elle démontrait, le Pillard la domina rapidement, car son niveau de combat était encore nettement supérieur au sien. Lalya dut bondir en arrière pour ne pas se faire trancher la gorge sur un assaut de son ennemi.

   Elle rejoint ses amis alors que l’homme face à eux les tenait en respect à lui seul. Il s’était positionné entre eux la porte d’entrée, le duel était donc inévitable, et l’inconnu devait être éliminé.

   Le Pillard s’avança vers Haïdalir, mais Elzear s’interposa.

   − Restez où vous êtes ! ordonna le maître aux trois compagnons qui n’étaient apparemment pas de taille à lui faire face.

   L’invitant au duel, il pointa son katana à hauteur du nez, souplement, devant lui. L’homme brandit son épée à son tour.

   Se déplaçant en cercle, ils se regardaient dans les yeux en s’évaluant ; chacun sachant être confronté à un combat inévitable, chacun sachant avoir trouvé un adversaire de taille.

   Leur ronde dura un moment, pareille à deux félins avant de s’affronter.

   Le Pillard bondit sur Elzear.

   Sa lame fusa de tous les côtés, et le maître para la pluie de coups en conservant son calme, puis recula et se remit en garde.

   Il subit un nouvel assaut en continuant de bloquer les attaques.

   Son adversaire prenait visiblement un net avantage. Eldan resta ébahi de stupeur, car il ne pensait pas voir Elzear si rapidement en difficulté. Il paraît les coups, et ses actions se limitaient à bloquer les assauts du Pillard sans répondre ; les tintements métalliques se succédaient sans offrir d’opportunités à Elzear.

   « Il ne va pas tenir longtemps », se dit Eldan qui avait maintenant une boule d’inquiétude qui lui tordait le ventre.

   Elzear ne broncha pas et resta impassible.

   L’échange se poursuivit, les lames sifflaient, claquaient et tournoyaient. Le Pillard continua de prendre l’avantage en gagnant du terrain, frappant toujours plus rapidement.

   Les deux combattants se déplaçaient et se percutaient avec férocité. Le Pillard accompagna un tranchant latéral qui aurait littéralement coupé en deux Elzear s’il n’avait pas évité l’attaque d’un mouvement fluide. Il n’eut toutefois pas le temps de riposter, car son adversaire frappa avec plus de force, cherchant à le désarçonner, mais Elzear ne broncha pas.

   Soudainement, le maître plaça un tranchant cinglant, si bien exécuté que tous ceux du Pillard devinrent subitement dérisoires. Eldan comprit alors la stratégie d’Elzear, qui jusqu’à présent, avait jugé son adversaire en restant volontairement sur la défensive. Un plan méticuleusement organisé.

   Le maître bondit et explosa.

   L’assaut était plus vif et plus puissant que tous ceux du chef Pillard. Ses coups devenant plus rapides et plus nets que précédemment, lui divulguant enfin ses capacités réelles ; une technique parfaite, calquée et imparable.

   Étant en difficulté sur chaque attaque, l’homme dut reculer face à Elzear qui lui imposait maintenant toute sa grandeur. Son plan se refermait peu à peu, ses griffes s’affutèrent, sa proie était faite. Son adversaire se fit lacérer la cuisse, puis l’épaule, et reçut finalement la chape de son katana sur le poignet, le forçant à lâcher son épée.

   Le maître se retourna et le catapulta contre le mur d’un coup de pied en pleine poitrine. Désorienté, le Pillard se releva et réussit à atteindre la sortie avant qu’Elzear ne le fende de sa lame.

   Mornar serra les dents, en se demandant pourquoi il n’avait pas pensé à cette solution plus tôt. Il plongea à terre et se munit de la seule arbalète présente dans la pièce, celle qui avait été séparée de son propriétaire par Eldan quelques minutes auparavant.

   C’était le moment où jamais, le Pillard arriva devant la porte.

   Il tira dans sa direction.

   La flèche se ficha dans son capuchon, le forçant à se démasquer et à arracher sa cape.

   Son identité lui était bel et bien familière.

   − ETIMER ?! hurla Mornar en rechargeant.

   Il était trop tard, Etimer avait déjà quitté l’auberge.

   Ils lui emboitèrent le pas, mais le Pillard était à cheval et galopait. Mornar termina de recharger et tira… malheureusement, la flèche ne l’atteignit pas ; il était déjà trop loin.

   Elzear le regarda s’échapper, puis ajouta :

   − Ne restons pas ici… c’est un véritable bain de sang…

   − Etimer…, dit Mornar. Je ne pensais pas… je m’excuse Eldan…

   ­− Je sentais que cet homme n’était pas clair, son regard ne m’inspirait aucune confiance, je mettrais ma main au feu qu’il manigançait cela depuis le début, peut-être même depuis Aquira.

   − Pardonne-moi, dit Lalya à son tour. Nous nous étions trompés… Merino était convaincu qu’il y avait un chef chez les Pillards, et qu’il était sous les ordres de Rha-Zorak, mais je ne pensais pas qu’il s’agissait d’Etimer Adilaq. Quand je pense qu’il nous mentait depuis le début. Merci à toi, Elzear, je… ne douterai jamais plus de toi.

   « Tu… tu viens d’écraser le vainqueur des cinq Bâtons d’Or d’Aquira.

   ­− Il se battait bien, répondit-il sans trahir la moindre satisfaction.

   L’archer fronça les sourcils, se souvenant de l’escapade de son ami, puis vociféra :

   − Et ne disparais plus jamais pareillement, Eldan ! Où étais-tu passé ?

   Eldan n’eut pas le temps de répondre qu’il se fit sauter à la gorge par Lalya.

   − J’avais oublié cette histoire ! rugit-elle en lui martelant la poitrine. Pourquoi es-tu parti ?! Qu’est-ce qui t’a pris ?

   − Pour ma défense, argumenta Eldan. Je vous avais dit de ne pas vous inquiéter, et que j’allais revenir ! Bon sang, je savais ce que je faisais ! J’avais besoin de rester seul quelque temps. Je souhaitais m’exercer avec Serhak, le tigre. J’avais besoin de me recentrer, de faire le point.

   « Vous feriez bien de m’écouter plus souvent, ainsi qu’Elzear. Lui, il m’a retrouvé.

   − Bon, dit le maître, oublions cela. Partons d’ici.

   Mornar ravala sa grimace et Lalya fit de même ; les circonstances ne permettaient pas une dispute.

   − Je m’excuse, ajouta Eldan. Je ne souhaitais pas vous infliger ça.

   Malgré les reproches, le regard de ses amis lui fit comprendre qu’ils réalisaient aussi à quel point ils étaient soulagés de se retrouver les trois réunis, et surtout en vie.

   Ils quittèrent la Rue Torsière au plus vite et prirent la direction de la colline. Elzear avançait devant eux en restant particulièrement vigilant.

   Encore sous le choc, ils avançaient sans trop parler. Mornar et Lalya échangèrent des regards déconfits, car ils s’étaient durement trompés à propos d’Etimer et savaient qu’à l’avenir, ils devraient redoubler de prudence − ils ne pourraient s’en tirer aussi facilement à chaque fois, et Elzear ne serait pas toujours là.

   Après avoir regagné les beaux quartiers de Sulleda, ils traversèrent quelques ruelles et arrivèrent au centre-ville.

   Le maître les arrêta subitement.

   − N’avancez plus.

   Sans bruit, ils se dissimulèrent derrière des tonneaux qui bordaient une taverne.

   − Qu’y a-t-il ? demanda Eldan.

   − Rha-Zorak, répondit Elzear.

   − Quoi ?! s’étouffa Mornar.

   − Silence ! fit Elzear. Il marche seul en direction de la sortie est.

   − Il brûle bon sang ! remarqua Lalya.

   Mornar glissa la tête entre deux tonneaux et constata que Rha-Zorak était bien là, avançant à grands pas ; sa cape brûlait totalement, mais il ne semblait pas du tout s’en soucier.

   Il marchait sans remarquer qu’une flèche était fichée dans sa cuisse.

   − Que s’est-il passé ? demanda l’archer.

   − Je ne sais pas, répondit Elzear. Il se passe quelque chose d’anormal, quittons la ville au plus vite.

   Dès que Rha-Zorak fut hors de vue, ils repartirent au pas de course.

   − Dépêchez-vous, fit Elzear, filant comme une flèche.

   Ils traversèrent le centre-ville qui était bondé de monde et apparemment très agité. Des cris les alertèrent aussitôt, ceux d’une femme qui était agenouillée en pleurant à chaudes larmes.

   Eldan s’accroupit près d’elle.

   − Qu’y a-t-il ?

   Elle tourna la tête et lui répondit par un regard noir :

   − Fuyez ! Fuyez Sulleda !

   − Pourquoi ? demanda le jeune homme. Que s’est-il passé ?

   − Tyldo Faldas, il a… il n’aurait pas dû.

   − Quelqu’un comprend-il son charabia ? demanda Mornar.

   La femme s’éclaircit la gorge, puis reprit la parole :

   − Rha-Zorak… est venu s’entretenir avec Lord Stencel. Apparemment, cela ne s’est pas passé comme il le souhaitait.

   Eldan se retourna subitement et croisa le regard d’Elzear qui semblait inquiet.

   La femme continua :

   − Lorsque Rha-Zorak a quitté l’hôtel de ville, Tyldo Faldas, conseiller et second du gouverneur, lui a tendu un piège. J’ai tout vu…

   − Quel idiot…, marmonna le maître.

   − Faldas nous a tous condamnés ! Cinquante archers se tenaient prêts à tirer. Rha-Zorak les a tous tués… Les uns après les autres… Les flèches ne lui faisaient rien ! Il était… sa fureur était indescriptible. Sulleda va être attaquée, la cité est perdue…

   − Cela risque d’être pire, dit Elzear. Bien pire.

   Il s’adressa à Eldan, Mornar et Lalya :

   − Retournons chez moi et prenez vos affaires. Vous devez quitter l’île de toute urgence.