Melinir Tome 1 - Chapitre 3 - Un bruit dans l'écurie

Chapitre 3 – Un bruit dans l’écurie

Rha-Zorak : Seigneur des Terres du Désert Bruet. Il dirige simultanément le peuple des Huttlords et des Hassamdaïs. Il vit actuellement dans une forteresse construite à son effigie. Son apparence, ayant des traits humains, est pourtant différente des autres créatures connues sur Melinir. Sa longévité de plus d’un siècle est à ce jour inexpliquée, ainsi que sa faculté à modifier les éléments naturels. Ses capacités hors du commun ont conduit certains Gouverneurs à le considérer comme étant un demi-dieu.

Régions, Autorités et Organisations – Encyclopédie du Savoir d’Aquira
Melinir Tome 1 - Chapitre_3 - Un bruit dans l'écurie

   Eldan décida de rendre visite à sa jument avant de retourner chez lui. Le village était désert à cette heure. Peu de personnes s’aventuraient au-dehors une fois la nuit tombée, une peur entièrement fondée sur des mœurs et des croyances. Trop de légendes stupides mentionnaient des créatures qui surgissaient soi-disant de l’obscurité, que les gens en avaient une véritable phobie ; surtout dans ce hameau superstitieux. Mais ces intimidations n’avaient pas plus d’effet sur lui que l’empathie n’en avait sur Fourmat, il n’y voyait qu’un manque de soleil.

   Lorsqu’il s’approcha de l’écurie, ce n’est effectivement pas la nuit qui l’inquiéta, mais le bruit qu’il y avait à l’intérieur. Il resta devant l’entrée et observa discrètement la source de ce chahut, il reconnut aussitôt de quoi il s’agissait : un Huttlord.

   Que faisait-il ici ? Ses monstres ne se déplaçaient pas pour rien, Rha-Zorak ne les envoyait que pour des tâches d’une certaine importance. Il avait lu beaucoup d’horreurs à leur propos et savait de quoi ils étaient capables.

   Personne ne savait encore comment Rha-Zorak avait réduit de telles créatures sous son ordre, car ils le servaient depuis le début de son ascension. Certains pensaient qu’il avait promis des terres à leur chef de guerre une fois au pouvoir, d’autres affirmaient qu’il en faisait partie, avant de trouver le chemin de l’invulnérabilité.

   Encore une fois, beaucoup de rumeurs qui n’avaient aucun fondement.

   Le Huttlord en question était équipé d’une longue épée et vêtu d’une cape noire qui recouvrait la totalité de son corps, ainsi qu’une capuche masquant son visage. Il se retourna brusquement et Eldan put apprécier la difformité de ses traits. Il avait des yeux rouges, une peau noire granuleuse qui faisait penser à celle d’un crapaud, mais le pire était sa bouche, qui était verticale. Plus dégoûtant encore, il n’avait pas de lèvres.

   Le jeune homme se retourna et ferma les yeux pour assimiler la monstruosité de ce qu’il venait de découvrir. Après avoir repris ses esprits, il jeta un nouveau coup d’oeil.

   Le Huttlord, remuant l’écurie dans tous les sens, ne l’avait pas vu, il cherchait quelque chose et s’obstinait curieusement. Eldan tenta de voir si Flèche-Noire était encore à l’intérieur, mais apparemment, tous les chevaux étaient sortis, tant mieux, il avait dû les faire fuir en arrivant. Le bâtiment était vide hormis cette chose repoussante.

   Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien rechercher dans un endroit pareil ?

   Il savait que persuader la créature de quitter les lieux le réduirait rapidement à l’état de pantin désarticulé. Il se retourna et réfléchit. Que faire ?

   Il fit rapidement connaissance avec le nouveau venu.

   Restant dissimulé derrière la porte principale, le jeune homme fut rapidement tiré de ses réflexions. Une gigantesque main le saisit à la gorge et lui bloqua la respiration, le Huttlord le traîna à travers l’écurie puis le plaqua violemment contre la paroi du fond pour relâcher peu à peu son étreinte. Eldan réalisa qu’il était en train de se faire écrabouiller par un monstre qu’il n’aurait même jamais voulu croiser à moins de cent mètres.

   − Qui es-tu ? Que fais-tu ici ? demanda-t-il d’une voix lente et caverneuse.

   Sa bouche ondulait comme un serpent.

   − Je viens nourrir mon cheval…, répondit Eldan qui peinait à respirer.

   − Où est-elle ? demanda le Huttlord avec plus de férocité. Son corps tremblait de force.

   − Comment ? J’ignore de quoi vous voulez parler…

   − Tu dois forcément savoir, c’est ton écurie, ne me mens pas…

   − Ce n’est pas la mienne ! C’est une écurie publique, tout le monde vient ici…

   Il le jaugea d’un regard glacial.

   − Où est l’arme ? Réponds-moi.

   Mais Eldan ignorait totalement de quoi il s’agissait. Comment lui faire comprendre sans se faire réduire en bouillie ?

   − Je ne sais pas, il n’y pas d’arme ici…

   Le Huttlord poussa un cri strident en le souleva par la gorge, puis le jeta contre une poutre comme si son poids n’avait aucune importance. Le jeune homme retomba violemment à terre et resta étourdi quelques instants, mais se releva tant bien que mal alors que la créature avançait calmement vers lui.

   Eldan prit la fuite en direction de la sortie, mais presque instantanément, trébucha.

   Une corde noire encerclait ses chevilles. Le Huttlord tirait sur un lasso pour ramener sa proie vers lui.

   − Crois-tu m’échapper aussi facilement ?

   Comment ce monstre avait-il pu être aussi rapide ?

   − Tu m’accompagneras lorsque j’aurai trouvé l’arme, que tu le veuilles ou non. Ta chair pourrait satisfaire les miens.

   Traîné comme un vulgaire sac de patates, Eldan fut pris de panique, il devait absolument agir pour sauver sa peau. Il tourna la tête et vit une hache posée contre un tabouret, puis roula sur le côté pour la saisir et sans attendre, coupa la corde d’un coup net. Son adversaire était encore à une dizaine de mètres et dégaina une épée gigantesque.

   Eldan comprit alors qu’en l’affrontant directement ses chances de survie étaient proches de zéro, mais il eut une autre idée en tête, sûrement la plus folle qui lui ait traversé l’esprit, et pourtant la seule qui pouvait le sauver. Il prit une grande inspiration et planta sa hache dans la poutre centrale, à l’endroit fissuré : l’unique point faible de l’écurie. Il savait qu’elle représentait la fondation principale du toit − et bénit tout de même Karter d’avoir entamé le pilier.

   Le tranchant s’enfonça sur une dizaine de centimètres.

   D’un geste prompt, il la retira instantanément.

   − Que fais-tu inconscient ? rugit le monstre en s’avançant vers lui.

   Eldan sentit un courant glacial le parcourir, celui de la peur, il n’avait jamais été confronté à une telle situation. Il savait que le Huttlord le tuerait avant qu’il ne puisse détruire le pilier. Le bras tremblant, il leva sa hache et sentit une énergie fulgurante le traverser de part en part, une force colossale qu’il devait laisser s’exprimer.

   Il rassembla la totalité de cette énergie et frappa d’un tranchant circulaire le pilier, qui à son grand étonnement, se brisa en deux.

   La base de la poutre s’affaissa sur le côté tandis que la charpente pendait lourdement et tirait le toit vers le bas. Il ne lui restait qu’une solution pour ne pas finir enseveli sous les décombres : courir.

   Il prit ses jambes à son cou en direction de la sortie et pria pour que la créature ne le rattrape pas, puis plongea au sol lorsqu’il franchit le pas de la porte en entendant un énorme fracas.

   L’écurie s’écroula.

   Le Huttlord disparut sous les décombres, écrasé. Eldan resta étendu à terre, complètement sonné, et se demanda comment la poutre avait cédé aussi facilement. Bien que le bois soit déjà entaillé, il savait qu’il venait de manifester une force exceptionnelle, car briser une telle fondation d’un seul coup de hache n’était tout simplement pas possible.

   Un nouveau bruit retentit dans les décombres, une main noire et granuleuse émergea avec peine, suivie d’une tête couverte de sang ; le Huttlord recherchait de l’air, agonisant.

   Eldan ne prit pas le temps de voir la situation empirer. Prenant sa hache bien en main, il courut sur la créature et l’enfonça au sommet de son crâne. Le sang qu’il reçut en plein visage faillit le faire vomir.

   Mais il commença à réaliser l’étendue de la situation, il venait de détruire l’écurie de Hatteron et tuer une créature qu’il n’aurait pour le moins du monde fallu contrarier.

   Il regarda les décombres pendant deux bonnes minutes sans savoir quoi faire.

   − Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda un homme torse nu qui venait de sortir de chez lui.

   Deux autres hommes sortirent à leurs tours, réveillés par le chahut de l’écroulement, puis non loin de là, une vingtaine de villageois se regroupa devant l’écurie en ruines.

   Depuis cet instant même, il eut du mal à admettre que ce qu’il venait de vivre n’était pas un cauchemar, mais une dure réalité qui allait bientôt le mettre dans une situation plus qu’embarrassante vis-à-vis des habitants.

   Il leur expliqua la nature de l’événement dans ses moindres détails, mais remarqua bien que la plupart ne l’écoutaient qu’à moitié et s’était déjà forgé une opinion sur ce qui s’était passé.

   − Croyez-moi ! Regardez par vous-même ! Fouillez les décombres, vous verrez que je ne mens pas !

   − Et pour l’empêcher de détruire l’écurie, tu l’as fait s’écrouler sur lui, c’est très intelligent ! siffla un autre.

   − Bon sang ! Il m’étranglait, voyez les marques sur mon cou ! Il ne m’aurait jamais laissé quitter l’écurie vivant !

   − Il dit la vérité, regardez ici !

   Un homme, qu’Eldan peinait à reconnaître venait de dégager certains décombres et laissait très clairement apparaître le corps de la créature sous la lumière des étoiles. En une fraction de seconde, une panique générale s’installa au sein des villageois si tardivement levés en cette nuit de printemps.

   − Non, ce n’est pas possible, Rha-Zorak va…

   − Ne dis pas ça !

   − Il cherchait probablement une monture et…

   − Une monture ? l’interrompit Eldan. Les chevaux sont tous dehors, le Huttlord recherchait une arme. Sûrement sur ordre de Rha-Zorak lui-même.

   − Exactement, reprit l’homme qui venait de découvrir le Huttlord. Et il y a de fortes chances que d’autres viennent encore, pour récupérer ce que la créature convoitait, et pour venger leur confrère… tu es en grand danger, Eldan. Les Huttlords sont une espèce très rancunière, ils n’ont pas les mêmes valeurs que nous. Tant qu’ils n’auront pas ta tête, celui-là ne reposera jamais en paix, crois-moi, la vengeance, pour eux, revêtit une tout autre raison d’être.

   − Je sais tout ça…, répondit tristement Eldan.

   L’homme qui venait de s’exprimer était celui qui paraissait être le plus censé, il reprit vite la parole :

   − Pour l’instant, il faut cacher ce cadavre. Je propose que nous brûlions les charpentes trop usagées, car de toute manière, l’écurie devra entièrement être reconstruite, elle est trop endommagée. Récupérons tout de même tout ce que nous pourrons réutiliser pour les prochaines fondations.

   − Nous devons prioritairement retrouver cette arme ! fit Eldan.

   − La seule arme qui résidait dans l’écurie était ma vieille hache ! cria un vieillard en levant le poing.

   – Tu peux aller la récupérer ta hache, elle est toujours enfoncée dans le crâne du Huttlord, répondit sèchement le jeune homme.

   Il semblait que personne ne souhaitait rechercher ledit objet, ou du moins, ne voulait admettre son existence.

   Tout le monde se mit à l’œuvre en maugréant.

   Les débris furent rapidement triés, et l’inutilisable brûlé avec le Huttlord. Après trois heures de dur labeur, le travail fut terminé. Eldan s’excusa encore une fois et remercia, malgré les injures qu’il recevait en retour, les villageois venus lui prêter main-forte.

   Le jeune homme savait qu’il ne serait plus jamais apprécié à Hatteron.

   Sans un regard en arrière, il prit le chemin de sa maison, triste et pensif, la tête lourde, peinant à croire à la réalité de ce qu’il venait de vivre.